Synthèse de la technique occidentale et de la tradition populaire, l’art du Bulgare Pancho Vladigerov est ici parfaitement restitué.

Tenu par Chostakovitch pour l’un des musiciens les plus importants de son temps, le grand homme de la musique bulgare, et neveu de Boris Pasternak, compositeur et chef d’orchestre, Pancho Vladigerov fut également un illustre pianiste ; Weissenberg compta au nombre de ses élèves. En témoigne ce premier volume de la parution en CD de son œuvre immense, publiée par Balkanton dans les années 1970. La saveur originale de sa musique repose sur la synthèse de la technique occidentale et de la tradition populaire. À mi-chemin entre l’Asie et la Russie, le folklore bulgare mêle l’Orient et l’univers slave. Chez Vladigerov, gammes orientales et modalité slave sont étroitement intriquées : une sensualité orientale capiteuse alla Shéhérazade alterne avec des intonations slavisantes, l’effusion sentimentale alla Rachmaninov avec une frénésie rythmique alla Khatchatourian.

Le raffinement harmonique sophistiqué a retenu les leçons de Ravel, le bel canto (le piano en portamento chante comme une prima donna) se souvient de Puccini. Ces apports à première vue disparates ont fusionné en une matière sonore très personnelle, d’une irrésistible séduction, conciliant fantaisie, énergie et effusion sous la bannière d’un romantisme sans complexe. Bax et Florent Schmitt sont à cet égard, autant que Hollywood (on pense à Korngold), les points de rapprochement les plus pertinents, l’écriture pianistique éblouissante et incisive renvoyant au Rachmaninov du Concerto n°4, la couleur harmonique et le brio orchestral à Rimski-Korsakov.

Le sommet du Troisième

Le monumental Concerto n°1 (43 minutes) stupéfie par sa maturité et sa plénitude : à 19 ans, l’auteur s’y affirme déjà totalement. Un héroïsme touchant à la grandiloquence est la réponse aux brumes menaçantes de l’introduction ; le finale donne le dernier mot à une pâmoison triomphale qui laisse Rachmaninov loin derrière. Dans le Concerto n° 2 (1930), la profusion mélodique à son comble est empreinte d’une effusion slave qui va droit au cœur ; la couleur orientale apporte un contraste bienvenu à la suavité des cantilènes cinématographiques. Le Concerto n° 3 (1937) est le sommet de la série. Équilibre de la construction, pureté d’un style « dégraissé » au profit d’une économie toute ravélienne, pianistique éblouissante dont les tourbillonnements s’imbriquent harmonieusement dans un orchestre racé et cultivant les timbres en soli nous valent un chef-d’œuvre devenu célèbre en Bulgarie.

Le Concerto n°4 (1953) cultive la même concision, y ajoutant le sel de dissonances lorgnant vers Messiaen, la toccata finale secouée de rythmes impairs. Le Concerto n°5 (1963) renoue avec la monumentalité du n°1 ; les élans impétueux sont tempérés dans une rétrospective en Technicolor du chemin parcouru, le sublime mouvement lent éclairé de la douce nostalgie d’un soleil d’automne, d’autant plus émouvant sous les doigts de l’auteur en personne. Sous la direction de son fils Alexander, les élèves du maître rendent parfaite justice à ses œuvres. Et l’excellente restitution en CD ajoute encore au plaisir.