L’histoire de la musique a-t-elle une place pour les ratés ? La postérité fait son tri, et même ceux que l’on tente de ressusciter doivent bien être présentés, sinon comme des génies universels, du moins comme de très grands talents oubliés. Il y a certes ceux dont la carrière est partie en eau de boudin après des débuts fulgurants, ou dont l’inspiration s’est tarie, mais peut-on pour autant parler de ratage ? Qu’il soit un professionnel qui a failli ou un amateur dans l’acception péjorative du terme, le « musicien raté » est avant tout une figure romanesque, qui intéresse l’histoire de la littérature davantage que la musicologie.
Du personnage romantique du ménétrier aux aspirants virtuoses déçus, du ténor de Madame Bovary à Charles Morel chez Proust, l’interprète est admiré comme révélateur ou méprisé comme simple exécutant, et la bande dessinée vient affirmer « l’inutilité souvent désagréable de la musique » : le barde ou la Castafiore qui casse les oreilles de son entourage brille par « son incompétence et son pouvoir de nuisance », favorisant la cohérence du groupe uni dans son hostilité. Les compositeurs se divisent en chapelles, et l’on est toujours le raté de quelqu’un, comme le rappellent les échanges d’amabilités entre Berlioz et Adolphe Adam.
Par dépit de rater la musique, et faute de pouvoir rivaliser à armes égales avec ce discours concurrent, l’écrivain, lui, préférera en guise de contre-musique le bruissement de sa langue.
Le Musicien raté – Emmanuel Lascoux, Stéphane Lelièvre et Marie-Hélène Rybicki (dir.) – Éditions Aedam Musicae. 392 p., 30 €
