Au cours des vingt-cinq dernières années, le monde du quatuor à cordes, formation reine de la musique de chambre, a connu de profonds bouleversements. Durant ce premier quart du XXIe siècle, la plupart des ensembles qui régnaient sur le genre ont rangé leurs archets.

Quatuor Modigliani ©Stéphanie Lacombe

Le Quatuor Modigliani © Stéphanie Lacombe

C’est ainsi qu’en une succession aussi impressionnante qu’inédite, se sont retirés de la scène, tant en Europe qu’aux États-Unis, les prestigieux Quatuors Melos (2005), Alban Berg (2008), Guarneri (2009), de Tokyo (2013), Ysaÿe (2014), Artemis (2021) et Emerson (2023), mais également Gabrielli (2000), Brandis (2002), Lindsay (2005), Vermeer (2007), Petersen (2008), Kocian (2010), Keller (2016) ou encore Endellion (2020), moins connus des mélomanes de l’hexagone. La période a vu également la fin de la grande époque des Quatuors Juilliard (avec le départ de Robert Mann) et Borodine (avec la disparition de Valentin Berlinsky), comme l’apparition de quatuors dits « de solistes », n’exerçant pas à temps complet – au premier rang desquels le Quatuor Arcanto – à l’existence plus ou moins durable portant souvent le nom d’un premier violon célèbre (Tetzlaff, Zehetmair, Fischer, Ehnes, Capuçon…).

L’émergence de nouveaux talents

Derrière les Quatuors Hagen, puis Belcea et Jérusalem désormais en première ligne, est apparue une nouvelle génération d’ensembles fort talentueux, appelée à remplacer leurs illustres aînés. En France, grâce notamment à l’enseignement des Ysaÿe, le genre a connu un prodigieux essor. C’est ainsi qu’à côté du Quatuor Danel déjà plus que trentenaire, sont nés les Quatuors Diotima (1996), Ébène (1999), Modigliani (2003) ou Voce (2004), qui poursuivent désormais de brillantes carrières internationales, entraînant à leur suite les prometteurs Quatuors Hermès (2008), Van Kuijk (2012), Arod (2013), Hanson (2013) ou Agate (2016). Ailleurs en Europe ont vu le jour les Quatuors Doric (Grande Bretagne, 1998), Danish (Danemark, 2001), Pavel Haas (République tchèque, 2002), Chiaroscuro (international, 2005), Apollon Musagète (Pologne, 2006) ou Schumann (Allemagne, 2007), puis dans leur sillage de nombreux jeunes ensembles parmi lesquels les Leonkoro, Barbican et autre Chaos appelés à un brillant avenir.

Aux États-Unis, malgré l’existence de plusieurs formations de qualité (Fine Arts, American, Miró, Brentano, Pacifica, Dover), le remplacement de leurs élites d’autrefois au rayonnement mondial – Cleveland, Guarneri, Juilliard de l’ère Robert Mann – se fait un peu attendre, laissant le champ libre aux Européens vers lesquels se tournent désormais plus volontiers les organisateurs d’outre-Atlantique. En revanche les Américains, tels les Quatuors Jack ou Brooklyn Rider (dans le sillage des Kronos), restent à la pointe du mouvement contemporain. Ainsi que le soulignent les Modigliani, les programmations de quatuors à cordes se sont intensifiées au sein des saisons et festivals, une relation confiance s’étant établie avec les organisateurs, conscients de leur attractivité croissante, comme en témoigne la multiplication des résidences. Nombre d’ensembles se sont largement investis dans des activités complémentaires, principalement d’enseignement, mais aussi en entreprenant des rencontres dans le but de diffuser leur art vers de plus larges auditoires, et n’hésitant pas pour certains comme les Ébène, à sortir du répertoire classique pour se tourner vers le jazz, au disque comme en concert.

Miroir de la société

Si l’influence des maisons de disques, ayant réduit drastiquement leurs investissements, s’est significativement amoindrie, on remarque en revanche que le quatuor, véritable laboratoire pour les compositeurs, suscite toujours leur vif intérêt, comme le prouvent les œuvres nouvelles signées notamment par Olivier Greif, Pascal Dusapin, Philippe Hersant, Kaija Saariaho, Wolfgang Rihm ou Jörg Widmann. Sonia Simmenauer, imprésario basée à Berlin qui a consacré l’essentiel de sa carrière aux grands quatuors de son temps et auteur d’un livre sur leur vie quotidienne, Se mettre en quatre, rappelle à quel point l’évolution des quatuors reflète celle de la société. S’il demeure très attractif pour de nombreux jeunes musiciens, on y constate une nouvelle répartition des responsabilités comme de l’autorité dans le groupe, ainsi qu’une féminisation de plus en plus marquée. Et bien que l’engagement de chaque membre pour l’ensemble reste intense, il n’est plus celui de toute une vie, comme ce fut le cas par le passé.

Par cette nouvelle génération d’interprètes talentueux, par l’enrichissement perpétuel de son répertoire, comme par le souci de transmission et par l’adaptation de son mode d’existence à celui de la société, l’univers du quatuor à cordes reste prodigieusement vivant et peut avoir confiance en son avenir.