Emmanuelle Haïm et Jean-Christophe Spinosi fêtent en cœur les 20 et 30 ans de leurs ensembles spécialisés, se livrant à un entretien croisé riche d’expérience.
Exploits et rafales
E. H. : Les contraintes de la saison passée nous ont forcés à une réactivité de tous les instants. Certaines productions, comme l’Idoménée de Campra, ont été totalement repensées sur le plan musical et scénique pour répondre aux exigences sanitaires. Cela a été un exploit de réussir ce « retour d’Idoménée », suivi cette année de l’Idoménée au complet !
J.-C. S. : La reprise s’accompagne de projets en rafales, entre reports et nouveaux concerts. Je viens d’apprendre qu’une quarantaine de dix jours s’imposera en amont des trois concerts prévus au Japon en janvier prochain. Donc les problèmes ne sont pas terminés…
Paris-Brest
E. H. : Notre résidence à Lille depuis vingt ans est un appui exceptionnel et indispensable. Elle a permis notre développement dans toute la région des Hauts-de-France, tout en nouant d’autres partenariats, avec le Théâtre des Champs-Élysées, le Théâtre de Caen ou l’Opéra de Dijon.

Emmauelle Haim
Photo : S. Expilly
J.-C. S. : Le Quartz à Brest a accueilli l’Ensemble Matheus à ses débuts ; cette scène nationale a fait office de laboratoire. Cela fonctionnait bien avec nos idées, nous avons pu développer une identité propre. Lorsque Jean-Luc Choplin est arrivé au Théâtre du Châtelet, il nous a proposé une résidence qui nous a permis de créer de nouvelles productions d’opéras pendant dix ans.
Survie menacée
E. H. : Le Concert d’Astrée s’est constitué dans un contexte où orchestres symphoniques, maisons d’opéra et scènes nationales étaient structurés par des financements publics. Les ensembles spécialisés, arrivant après cette répartition, n’ont été aidés que de façon moindre. Chaque année, notre survie est menacée : il faudrait mener aujourd’hui une réflexion générale avec les pouvoirs publics.
J.-C. S. : Les ensembles spécialisés occupent aujourd’hui une place conséquente dans l’actualité musicale. Leur essence repose sur la création. Il faut savoir convaincre les partenaires institutionnels de nous suivre sur des objectifs sans cesse renouvelés !
La lettre et l’esprit
E. H. : Aujourd’hui, jeunes instrumentistes et chanteurs sont de plus en plus formés à la musique ancienne : instruments d’époque et répertoire baroque. Les classes se sont multipliées. Mais il faut continuer à défendre ces études spécialisées, encore en marge dans l’enseignement musical.
J.-C. S. : On a cru à un moment avoir trouvé toutes les réponses aux questions d’interprétation de la musique baroque. Heureusement, le sujet reste inépuisable ! Comprendre l’esprit du texte est essentiel. La tradition orale qui ne s’est pas vraiment interrompue dans de nombreuses musiques traditionnelles et populaires est un guide très intéressant.
Éclairer, comparer…
E. H. : Plus je m’immerge dans un répertoire, mieux je le défends. Ce sont comme des strates qui se déposent pour mieux vous faire entendre l’œuvre suivante. J’aimerais explorer davantage Lully, Rameau, Desmarest, Destouches, Lalande… Et je pourrais passer une vie sur le seicento italien, le XVIIe anglais ou encore l’opera seria.
J.-C. S. : Je souhaite approfondir certaines questions, notamment autour du récitatif et de la voix parlée, pour chercher à rendre les récits toujours plus vivants et réalistes. Il y a trois ans, alors que nous donnions L’Italienne à Alger avec Cecilia Bartoli et Alessandro Corbelli, celui-ci a fait plusieurs récitatifs avec sa voix parlée. Cela conforte mon idée selon laquelle on ne chantait à l’époque de Rossini que lorsqu’arrivait la modulation, « pour la souligner », comme l’écrivait Manuel García !
Propos recueillis par Aude Giger
Actualités
Le Concert d’Astrée fêtera ses 20 ans au Staatsoper de Berlin (10/11) puis au TCE (12/11). On le retrouvera à Lille dans Didon et Énée de Purcell (3 au 10/12).
L’Ensemble Matheus célébrera ses 30 ans au TCE également (27/11) et se produira à Vannes dans « Les Tubes du cinéma » (10/11).