Stefan Soltesz s’écroule en dirigeant La Femme silencieuse de Strauss l’opéra de Munich.

On se faisait une fête de revoir Die Schweigsame Frau (La Femme silencieuse), cette délicieuse comédie que Stefan Zweig avait concoctée pour un Strauss en panne de librettiste depuis la mort d’Hofmannsthal, et qui tomba victime des intrigues des nazis qui avaient accepté l’œuvre sous réserve que le nom de l’écrivain juif n’apparaisse pas sur les affiches de la création dresdoise, ce qui fit hurler Strauss, et lui coûta son poste de Directeur de la chambre de musique du Reich, et fit disparaître aussitôt le bijou.

De fait, malgré son caractère bouffe heureux et enjoué, l’œuvre reste rare encore aujourd’hui, et n’a jamais réussi à s’inscrire au rang des œuvres les plus populaires du compositeur munichois.

Le spectacle débute particulièrement bien. La mise scène de Barrie Kosky, conçue voici douze ans pour la scène du Théâtre du Prince-Régent s’inscrit sans peine sur les planches de la Staatsoper pour faire liaison entre le Chevalier à la rose d’hier, signé lui aussi Kosky, et la nouvelle production signée David Marton de Capriccio prévue le lendemain, bientôt suivie d’une reprise de la Frau ohne Schatten (La Femme sans ombre) signée Warlikowski, en une sorte de mini-festival Strauss.

Crédit photo : Thilo Beu

Crédit photo : Wilfried Hoesl

Installée sur un vaste podium surélevé, inscrivant l’action hors tout décor dans la cage de scène à nu, la verve du metteur en scène australien donne aussitôt au Barbier de Björn Bürger, vêtu d’un ensemble Adidas vert pomme, une dimension de Machiavel sympathique face au Morosus bien usé de Franz Hawlata, cependant que dans la fosse, après une ouverture très enlevée, Stefan Soltesz tient d’une baguette ferme et  volubile, un orchestre virtuose.

Avec l’apparition de la petite « troupe »  du neveu de Morisus, Henry, un Daniel Behle racé, la folie Kosky s’impose vite avec une montagne d’icônes lyriques envahissant le plateau dans le délire le plus parfaitement organisé, où l’on reconnaît la Brünnhilde toute en minceur de Flagstad jeune (la délicieuse Brenda Rae, dont on attend des merveilles de douceur émue dans le duo final de l’acte II), une Tosca de Callas en rouge zeffirelien, un Rigoletto, une Butterfly, une Traviata façon Sutherland, un Escamillo, un Hagen, et une cinquantaine d’autres personnages du répertoire, chœurs et figurants confondus. La joie est parfaite, sur le plateau comme dans la salle, d’autant que Soltesz ne lâche rien de la précision nécessaire à cette grande machine d’ensemble.

Lorsqu’à trois minutes de la fin de l’acte, un grand bruit de chute sort de la fosse, stupéfiant les acteurs, qui s’arrêtent aussitôt : le chef, victime d’une attaque cardiaque, s’est écroulé. Réactions immédiates, appel au médecin de service qui accourt, annonce d’un entracte précipité, rideau baissé, arrivée rapide des secours. Une demi-heure plus tard, il faut annoncer que le chef hongrois a été emmené à l’hôpital en soins intensifs, et que le spectacle s’arrête là…

Serge Dorny, croisé un instant plus tard, confie ses inquiétudes sur un état médical jugé critique, au pronostic inquiétant…  Et effectivement, quelques minutes plus tard, un communiqué de la Staatsoper annonce le décès du chef de 73 ans.

On ne peut s’empêcher de penser au précédent historique de la mort de Joseph Keilberth, le 20 juillet 1968, dans la même fosse, au pupitre de Tristan, à l’instant où le ténor chantait « So stürben wir, um ungetrennt, ewig einig, ohn´End´ ».