Martin Helmchen s’impose en virtuose sur le clavier d’un instrument historique somptueux. Comme ensorcelé, il maîtrise la variété incroyable des œuvres du couple Schumann.

Robert Schumann
(1810-1856)
Novelettes. Chants de l’aube

Clara Schumann
(1819-1896)
Soirées musicales, op. 6

Martin Helmchen
(piano Bechstein 1860)
Alpha Classics 857. 2021. 1 h 10 min

Depuis son prix Clara-Haskil obtenu en 2001, Martin Helmchen a fait un parcours qui n’a peut-être pas été assez remarqué, bien qu’il fasse une magnifique carrière au disque et au concert. Souvenons-nous de ses premiers enregistrements chez Pentatone, de ses concertos de Mozart, de sa Symphonie sur un chant montagnard de Vincent d’Indy avec l’Orchestre de la Suisse romande et Marek Janowski, de son Concerto de Dvorák avec l’Orchestre de Strasbourg et Marc Albrecht, de sa Sonate D. 959 et de ses Six Moments musicaux de Schubert, de ses disques de musique de chambre dont cette intégrale de l’œuvre pour violon et piano de Schubert avec la violoniste et pianiste Julia Fischer.

Il a aussi participé récemment chez Bis à une intégrale au sommet des dix sonates pour piano et violon de Beethoven avec Frank Peter Zimmermann (Classica nos 229 et 234) dans laquelle Helmchen use du somptueux piano à cordes parallèles de Chris Maene, que Daniel Barenboim joue lui aussi dorénavant. 

Ce musicien complet enregistre désormais chez Alpha Classics où ses disques continuent de bénéficier, après Pentatone et Bis, de prises de son qui laissent son jeu s’épanouir sans entraves. Il accompagne aussi les chanteurs de lieder en parfaite osmose comme en a témoigné son Chant du cygne avec Julian Pregardien (Alpha Classics, 2020, CHOC, Classica n° 236). Nous n’allons pas appeler tous ses enregistrements à la barre, mais il le faudrait presque, tant cette rétrospective dit la stature d’un pianiste de tout premier plan.

Ce nouveau disque est infiniment bienvenu car les Novelettes de Schumann sont rarement jouées en public ou enregistrées. Yves Nat et Dino Ciani dominent en raison de leur engagement quasi halluciné, mais le pianiste italien est capté de façon très sommaire en public et le grand Erard de Nat sonne un peu sec. Sur un Bechstein de 1860, aux sonorités fruitées, aux éclats sonores vifs sans l’once d’une dureté, aux basses denses mais sans embonpoint, transparentes comme ne le sont celles d’aucun piano moderne, Helmchen joue ces huit pièces avec une tension sans relâche, même quand la musique lui permet de rêver ici où là.

Il en domine toute la complexité rythmique et polyphonique, avec un naturel expressif qui le fait passer d’un climat à un autre sans aucune inertie instrumentale ou psychologique, sans non plus être foutraque, ce qui menace à plus d’un détour d’une œuvre qui part soudainement en des vitesses aussi folles que le sentiment d’inquiétude que la musique de Schumann fait naître. Helmchen est comme possédé par la musique et s’impose ici comme un virtuose époustouflant.

La sonorité qu’il tire d’un instrument somptueux est d’une variété incroyable car bien que fondus en un corps sonore homogène, les timbres du piano ne se mélangent jamais tout en éclairant le chant d’une lumière dorée, douce parfois éclatante mais sans dureté métallique. Les Chants de l’aube vont idéalement, eux aussi, à ce piano et à Helmchen qui en épouse les replis douloureux et le chant hagard. Et quelle jolie idée d’avoir enregistré trois des Soirées musicales, op. 6 de Clara Schumann chez qui passent les ombres de Robert et de Chopin.