Kirill Petrenko et l’Orchestre philharmonique de Berlin jouissent d’une belle connivence. Et quand Beethoven s’en mêle, c’est carrément l’accord parfait.
Excepté la Symphonie n° 9 de Beethoven, captée le 23 août 2019 et marquant les débuts de Kirill Petrenko comme chef et directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Berlin, les concerts réunis dans ce coffret sont antérieurs à sa prise de fonction. Y figure curieusement la Symphonie n ° 6 « Pathétique » de Tchaïkovski déjà parue, dont Yannick Millon avait souligné avec justesse le caractère inégal (Classica n° 214). La n° 5 du même compositeur se montre plus équilibrée : les cordes sonnent de façon unifiée et les solistes s’y épanouissent à l’instar du clarinettiste Andreas Ottensamer.
Plus encore, la conception personnelle du chef se révèle de façon nette et aboutie. Son Tchaïkovski nourrit des désirs sourds et des pensées souvent lugubres qui ne s’abandonnent pas complètement à la valse. Le chef refuse ainsi le triomphe univoque du finale, lui préférant une ambiguïté troublante qui enrichit la perception de l’œuvre sans la priver d’une performance orchestrale incroyable.
Un son propre à chaque œuvre
Au côté de ce répertoire congénital, Petrenko propose deux œuvres rares, issues d’une programmation méticuleuse et variée. Éruptive, la Musique pour orchestre de Rudi Stephan (1887-1915) appartient à un monde naissant, tandis que la Symphonie n° 4 de Franz Schmidt (1874-1939) sonne comme un ultime rituel crépusculaire. Les deux œuvres illustrent une capacité remarquable du chef, celle d’obtenir de l’orchestre un son propre à chaque œuvre interprétée, là où d’autres se contentent d’exploiter les qualités d’une formation. Coloré à foison dans Stephan, l’orchestre joue d’une palette subtile dans Schmidt.
Face à la réussite récente de Paavo Järvi dans cette œuvre à Francfort (CHOC, Classica n° 228), Petrenko parvient également à trouver la culture sonore d’une musique sévère à l’efflorescence délicate où s’intègre naturellement le violoncelle exemplaire de Ludwig Quandt. Comme dans la musique de Tchaïkovski mais avec des moyens entièrement différents, le chef nous entraîne dans une sphère privée et intime qui marque durablement.
Cœur de répertoire

Crédit photo : Wilfried Hösl

Kirill Petrenko
Œuvres de Beethoven,
Tchaïkovski, Schmidt
et Stephan
Orchestre philharmonique de Berlin
Berliner Philharmoniker Recordings
BPHR 200351 (5 CD + 2 Blu-ray audio et vidéo).
2012-2019. 4h05
De toute évidence, les symphonies de Beethoven appartiennent au cœur de répertoire de l’ Orchestre philharmonique de Berlin. Obsédé par la précision qu’il juge consubstantielle au langage musical, Petrenko pousse très loin la virtuosité. Par un geste orchestral plus resserré, il opère aussi une rupture stylistique manifeste avec les interprétations très détaillées de son prédécesseur, Simon Rattle, lequel avait lui-même donné une cohésion que l’orchestre n’avait pas toujours sous la baguette de Claudio Abbado qui laissait champ libre à ses talentueux musiciens.
Rapide, la Symphonie n° 9 n’en est pas pour autant survolée, et frappe par l’alternance entre avancées cursives et respirations, jusqu’à un finale fusionnel qui laisse pantois. La Symphonie n° 7, captée en 2018, semble encore plus aboutie. Bien entendu, elle diffère profondément des versions dionysiaques de Karajan (Deutsche Grammophon, 1962 et 1977), tout d’abord par une sonorité de l’ensemble finalement moins latine, plus germanique, par un legato beaucoup plus rare et des attaques plus acérées que chez Rattle (BPHR, 2015) et Abbado (Deutsche Grammophon, 2001). La balance des pupitres y est tout aussi souveraine pour un résultat beaucoup plus sévère : jamais une symphonie de Beethoven n’avait fait autant penser à ses quatuors à cordes ! En soulignant la nature de marche militaire des deux derniers mouvements, Petrenko bouscule nos habitudes et conclut de manière elliptique et ouverte. Un ajout majeur à la discographie.
Comme à l’accoutumée, cette édition de l’Orchestre philharmonique de Berlin propose la version filmée de ces concerts. Les regarder est une expérience en soi, tant le chef fait montre d’une gestuelle à la fois lapidaire, spectaculaire et concentrée – certainement l’un des secrets de son art.