L’appétit sexuel de Don Giovanni, telle est la métaphore que choisit de développer le Belge Guy Cassiers. Un abattoir en première partie, puis un finale donné sur un tas de viande humaine, le sang coule durant cette production qui marque le centenaire de l’institution lilloise.

Crédit Photo : Simon Gosselin

Le rendu est pourtant moins hard que ce que les notes du programme laissent craindre. On y envisage un énième procès du séducteur, syndrome d’une époque où évoquer le libertinage philosophique sans en passer par la victimisation et la culpabilité condamne tout metteur en scène aux foudres des réseaux sociaux. Cassiers se contente d’une esthétique proche du scandaleux Jan Fabre. Les hologrammes de Frederik Jassogne et Bram Delafonteyne baignent le premier acte dans des images évoquant Francis Bacon et Wifredo Lam. Les protagonistes errent dans une pénombre qui n’aide pas la lisibilité de leurs faits et gestes. Ils sont parfois problématiques quand Masetto et Zerlina se livrent à la masturbation et au coït. Si les nobles se touchent à peine alors que le couple socialement inférieur s’en donne à cœur joie, faut-il en conclure que seuls les pauvres sont obscènes ?

Vocalement, Sergio Villegas Galvain et Marie Lys éblouissent, tout comme Eric Ferring, Don Ottavio classieux, au timbre lumineux. Le Commandeur de James Platt, présenté comme un Chaliapine d’outre-tombe, en possède la profondeur. Emöke Barath (Donna Anna) et Chiara Skerath (Donna Elvira) effectuent des trajectoires inversées. Donna Anna, attaquant tout feu tout miel, pâlit en cours de représentation. Chiara Skerath, voix large aux ornements d’abord hésitants, finit par offrir un « Mi tradi » somptueux, l’un des sommets de la soirée. Il est vrai que les images flottantes ont alors disparu, laissant le chant s’incarner en chair et en os. Tous sont transportés par la direction et les pupitres, fabuleux, d’Emmanuelle Haïm et de son Concert d’Astrée. Parmi les Mozart d’anthologie donnés durant leur résidence à Lille (La Finta Giardiniera en 2014, Idomeneo en 2015), ce Don Giovanni renouvelle la perception d’une œuvre devenue transparente à force d’écoutes. Les tempi, jamais survoltés, la pâte, jamais graisseuse, les couleurs, toujours fruitées, volent la vedette à Leporello (Vladyslav Buialskyi) et au séducteur (Timothy Murray). Pour pimenter ce festin cannibale, il aura manqué à l’un la rouerie, à l’autre l’outrecuidance.

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