Benjamin Millepied revisite Roméo et Juliette dans un ballet éblouissant où tous les couples sont permis.
Il y a Roméo et Juliette. Il y a aussi Juliette et Juliette, Roméo et Roméo. Pour sa nouvelle création présentée à Paris, à La Seine musicale, Benjamin Millepied, chorégraphe prolixe revenu de Los Angeles, a modernisé le couple des amants légendaires, constitué selon les soirées soit de deux hommes, soit de deux femmes. Avouons-le, on craignait les poncifs du culturellement correct qui sévit outre-Atlantique.
Mais dès les premières minutes, on le comprend : peu importe les affinités affectives (ce soir-là, elles étaient deux filles), c’est d’amour dont il est question, celui précisément dont parle Shakespeare (la pièce originale, conventions d’alors obligent, était d’ailleurs jouée par deux hommes). Et de l’amour, il y en a à foison dans ce ballet éblouissant qui surprend, séduit puis enchante par sa force dramatique et son inventivité. Mélange des genres, mais aussi mélange des arts: la scène, vide, rouge comme la passion, est doublée d’un écran où sont projetées les images prises en direct par une caméra agile qui suit les interprètes dans leur course frénétique et dans leur intimité. Captée par cet œil nomade, l’action déborde du plateau, se poursuit dans les coulisses, se joue à l’extérieur du bâtiment. Sublime scène du balcon où Roméo (Daphne Fernberger, vive et expressive) et Juliette (Nayomi Van Brunt, éblouissante toupie) s’enlacent sur les toits du théâtre, projetant leur flamme dans la nuit de Paris. Et quel moment intense que ce combat furieux auquel se livre cette Roméo pugnace qui poignarde Tybalt avec une force de Titan !

Crédit photo : Julien Benhamou
Les seize danseurs du L.A. Project maîtrisent parfaitement la gestuelle nerveuse du chorégraphe, fondée sur le vocabulaire classique mais libérée de son académisme: ils ne cessent de bondir, swinguer, tourbillonner, soulevés par les crescendos irrésistibles de la partition de Prokoviev. Tout cela — danse, cinéma, théâtre — donne une nouvelle dimension au ballet et crée une proximité inédite entre interprètes et spectateurs. Le drame final se consume dans le désespoir des amants gisant dans cet espace rougeoyant tandis que l’écran déserté prend lui aussi les couleurs du sang comme un Rothko géant, et nous, nous ressortons de ce conte universel, comblés, sonnés, et étonnés d’être aussi ébranlés.
Roméo et Juliette – La Seine musicale – BOULOGNE·BILLANCOURT- DU 15 AU 25 SEPTEMBRE