Éclairé par la sagesse de sa dixième décade, Herbert Blomstedt propose une lecture sereine des deux dernières symphonies de Schubert. Aux antipodes, la version historiquement informée de Jordi Savall livre une musique de jeune homme, gorgée de soleil catalan.

FRANZ SCHUBERT (1797-1828)

Symphonies n°8 « Inachevée » et 9
Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, dir. Herbert Blomstedt
DEUTSCHE GRAMMOPHON 486 3045 (2 CD).
2021. 1H 28 MIN

FRANZ SCHUBERT (1797-1828)

Symphonies n°8 « Inachevée » et 9
Le Concert des Nations, dir. Jordi Savall
ALIA vox AV5A9950 (2 SACD).
W2021.1H26MIN

Schubert aux deux extrémités du spectre interpréta­ tif. Pour ses débuts chez Deutsche Grammophon, à 94 ans, Herbert Blomstedt a réenregistré les deux der­ nières symphonies. Le maestro, dans son intégrale Eterna de 1978-1981 avec la Staatskapelle de Dresde (rééditée par Brilliant Classics), avait déjà réussi les deux ouvrages, dans un ton classique indémodable. Quarante ans plus tard, la vision d’ensemble n’a guère changé, mais le vieux sage a recours à des éditions récentes corrigeant certaines erreurs, et a resserré ses tempos tout en allongeant la durée globale en observant cette fois toutes les reprises. La difficulté supplémentaire visant à gérer un temps plus long ne pose aucun problème à Blomstedt, qui tisse sa grande arche avec sérénité, en pensant l’ultime symphonie de Schubert comme le chaînon manquant entre Beethoven et Bruckner. Il s’y appuie sur une caractérisation renforcée des motifs, comme ces courts appels de trompette acérés ou cette manière de fédérer la pulsation des cordes autour des contrebasses dans la montée à la coda du Finale. L’orchestre du Gewandhaus de Leipzig, créateur de l’œuvre en1839, est ici dans son jardin, éblouissant de ferveur. L’Andante con moto, d’une fluidité de rêve, le bon poids sur chaque note, l’atmosphère bucolique d’un Scherzo trapu et plein de malice, la patience dans les gradations du premier mouvement sont d’un véritable hymne à la vie, servi par une prise de son limpide et lumineuse, d’une fusion cordes-timbales modèle. L’« Inachevée » n’en apparaîtra que plus sombre, les trémolos sourds et la timbale menaçante, les éclats tragiques dans le développement, où passent des trouées de lumière d’une expressivité bouleversante. Et quelle plasticité du second thème, aux violoncelles à peine effleurés, quelle sérénité soudaine au cœur du doute et des tourments de l’âme ! Le mouvement lent chante avec naturel dans un tempo idéalement allant, reflet d’un maestro toujours au sommet de son art, même dans sa dixième décade.

Une joie contagieuse

À l’opposé de ce style mûr, le Schubert de Jordi Savall est de la musique de jeune homme, déconnectée de tout le grand romantisme futur. Enregistré en Catalogne à la collégiale de Cardona, Le Concert des Nations convoque une approche historiquement informée. Savall y fait montre d’une pugnacité rythmique là aussi dans l’héritage de Beethoven. Voilà un Schubert trépignant, vif, aux attaques franches, plein d’un élan qui ne contraint jamais la respiration. Le chef catalan ose même certaines gradations de tradition et quelques instants d’in­ dicible – Andante de « La Grande », au pas décidé qui n’en cède pas moins au vague à l’âme, avec les nuances afférentes. Tout en gardant une poigne dans l’articulation jamais prise en défaut dans un Scherzo et un Finale en apothéose de la danse, qui rayonnent de joie. l’« Inachevée» n’a pas peur du vertige de l’at­ tente dans les moments d’intériorité. Appuyée sur une pulsation intérieure très calme qui garde espoir au cœur des ténèbres, la battue ne presse jamais, pas plus qu’elle n’escamote les longs crescendos. Jusqu’à oser l’ampleur du climax du premier mouvement, un climat entre résignation et colère assez saisissant dans la réexposition, et un chant de clarinette lunaire sur les syncopes de cordes de !’Andante, sans équivalent dans la concurrence sur instruments anciens.