Véronique Gens fait sien le déchirant monologue de Cocteau mis en musique par Poulenc. La douleur de la séparation devient un drame universel.

Francis Poulenc (1899-1963)
La Voix humaine. Sinfonietta
Véronique Gens (soprano), Orchestre national de Lille, dir. Alexandre Bloch
ALPHA CLASSICS 899. 2021. 1H10MIN
Depuis plus de soixante ans, en dépit d’une discographie fournie, une seule voix s’est vraiment identifiée au personnage créé par Cocteau, c’est Denise Duval, la créatrice. Non qu’elle chante mieux que Felicity Lott, Jessye Norman ou Jane Rhodes, mais tout en elle est « d’époque », le type de voix, l’accent, la manière terriblement efficace de prononcer le texte que l’on ne retrouvera plus. Cette identification d’une artiste et d’un personnage rend la tâche difficile aux interprètes des générations suivantes. Véronique Gens s’y est risquée et elle a bien fait. Sa prononciation est irréprochable, sans la sécheresse de l’ancienne école française, et son timbre de velours est incontestablement plus séduisant. Plutôt réservée et ennemie des affects expressionnistes ou débordants, elle sait cependant dramatiser et rendre vivants les divers états psychologiques par lesquels passe l’héroïne au cours de cette longue scène, y compris en sortant de sa zone de confort habituelle et déployant un chant vigoureux, nerveux, qui convient à une femme en état de panique émotionnelle. On sait que Poulenc aimait les grandes voix lyriques. C’est bien ce que nous offre Véronique Gens, qui peut dégager une puissance extrême, sortir sans problème de solides aigus, en restant sur le fil dangereux de cette étrange partition qui pourrait à chaque instant tomber dans un réalisme ridicule. Alexandre Bloch la suit attentivement, soulignant sans se montrer invasif les articulations du drame. Il a pour commenter la situation des attentions passionnées. La fin est particulièrement émouvante, l’orchestre passant du murmure à la grande vague expressive quasi puccinienne, avant la conclusion simple et cursive. C’est vraiment du beau travail. Beau travail aussi dans la Sinfonietta où l’on retrouve le même raffinement de timbres et la même délicatesse. Écrite une dizaine d’années avant La Voix humaine, cette symphonie paradoxale, plus ample que Poulenc ne l’avait prévu, ouvrait une période sérieuse dans la production du compositeur. Comme La Voix humaine, elle est risquée car elle frôle parfois l’emphase et il faut donc lui conserver sa légèreté. Là encore, Alexandre Bloch et ses Lillois ont visé juste.