On s’en veut presque d’avoir critiqué hier le trop-plein de possibles pesant sur la mise en scène inaboutie de Peter Grimes, tant celle des Troyens signée par Christophe Honoré et la décoratrice Katrin Lea Tag, qu’on a connue plus inspirée pour Les Boréades, Carmen ou Salomé signés Barrie Kosky, est un désastre intellectuel.

Certes, un festival se doit de proposer des idées neuves, des regards ouverts, des approches différentes sur les œuvres, et l’on sait bien que le cinéaste français ne manque pas d’imagination, à preuve sa brillante Tosca. Après une Prise de Troie moyennement convaincante, mais ne s’écartant pas trop d’un classicisme de la ruine sous une Méditerranée figée sur écran, et mélangeant un peu tous les styles, du peuple troyen en queue-de-pie, à Priam et Hécube en longs péplums orange, et à Cassandre et Chorèbe vêtus de robes baroques, noire pour elle, émeraude pour lui, le chef couvert des sombreros du guerrier italique de Capestrano, on n’est plus à un hiatus près. Après tout, cela fonctionne sans rien faire découvrir de neuf…

Mais installer, dans Les Troyens à Carthage, Didon comme reine futile d’une cité des plaisirs, de la paresse, de la lascivité, en un mot décadente (l’inverse de ce qu’elle proclame dans son discours initial), où la population n’est qu’homosexuelle, nombriliste, attachée au culte du bain de soleil à poil autour de la piscine royale, et à l’exacerbation de sa libido, exposée crue en vidéo soft-porno, façon inauguration de galerie d’art où l’on traîne son ennui (ce sera – visuellement parlant – le cas tout l’acte IV), n’est tout simplement qu’un fantasme homo-érotique d’un metteur en scène dont on sait les engagements sur l’histoire et la cause de la communauté gay, qui devient ici indéfendable.

Crédit photo : Wilfried Hösl

En refusant aussi de se confronter aux difficultés réelles de l’œuvre, à commencer par la représentation du fameux Cheval, réduit ici à l’inscription Das Pferd (le cheval en allemand) en un néon blanc qu’on monte et descend jusqu’à Carthage, à refuser de montrer les délicates scènes de genre comices agricoles et industriels satisfaits de l’acte III, d’illustrer lascivement les rares ballets conservés, on saute l’obstacle, et refuse le côté grand opéra de l’œuvre. À superposer à Virgile et Berlioz un misérabilisme du propos qui n’a rien à voir, on insulte les auteurs et le public. Cela au moins a marché, puisqu’à la première, la salle entière a hué avec véhémence l’équipe de production – ce soir, un seul « hou » sonore a sauvé l’honneur. Rumeur du scandale aidant, ce soir un quart de salle manque à l’appel. Bravo !

Heureusement, l’oreille trouve une compensation formidable avec la baguette de Daniele Rustioni, et un orchestre chauffé à blanc, qui se fera magnifique d’exacerbation romantique pour Chasse royale et orage, poésie nocturne envahissante pour le duo du palais, et plainte désespérée pour les lamentations et la mort de Didon. Regrets, alors qu’ils étaient  magnifiques en anglais la veille, les chœurs sont indistincts en français.

La distribution manque, elle, d’équilibre. Que dire d’un Stéphane Degou, sinon qu’il est l’incarnation même de Chorèbe incontournable aujourd’hui ? Et de Gregory Kunde, qu’il demeure à 68 ans, et à quatre soirs d’un Otello torrentiel, un Enée incroyable de force, de sensibilité, et de stabilité vocale. Chapeau l’artiste vraiment ! En face, on savait déjà depuis Hulda de Franck au TCE que Jennifer Holloway, qui remplaçait Marie-Nicole Lemieux , a un timbre ingrat, mais aussi une vraie  capacité à tenir les rôles impossibles. Insuffisant cependant pour éblouir. Ekaterina Semenchuk compose comme à Paris une Didon énergique et amoureuse mais avec un ambitus pas toujours géré, et laisse son tempérament russe prendre le dessus sans trop de subtilité d’incarnation.

Mais on saluera un duo magnifiquement tenu, et une mort bousculée au début, splendide au final. Pour le reste, l’inégalité règne, entre un Ascagne parfait (Eve-Marie Hubeaux), une Ombre d’Hector impressionnante (Roman Shabaranook), une Anna impossible et vulgaire (Lindsay Ammann), un Narbal sans grave (Balint Szabo), un Iopas (Andrew Hamilton) et un Hylas (Jonas Hacker) délicieux… Eux et le chef ont été longuement fêtés. Et Berlioz dont on célèbre ici Les Troyens quasi intégraux depuis 1890 (quatre-vingt dix ans avant Paris) tout autant.

Munich, Bayerische Staatsoper, le 10 juillet