À Munich, avantage du système de répertoire pratiqué au Staatsoper, on peut sortir de l’irritante production des Troyens de la veille pour plonger dans l’univers de La Petite Renarde rusée de Janáček, présentée dans la production enchanteresse de Barrie Kosky, de celles qui font les soirées d’opéra heureuses.
Sur la scène vide et noire, dans le silence que trouent les raclements d’une pelle, on procède à un enterrement. Va-t-on vers une analyse socio-théâtrale sinistre du conte de Janáček ? Non, car une fois chacun sorti, et le garde-chasse (Wolfgang Koch, magnifique) resté seul avec son fusil, l’enchantement commence avec la fosse qui laisse monter l’énergie naturelle de la partition, tandis que des cintres descend un arbre stylisé, fait de câbles de minuscules perles luisantes. Derrière, suit tout un rideau de rubans travaillés et brillants, signés Michael Levine, que la lumière de Frank Evin va faire vivre de toute sa magie pour évoquer l’univers de la forêt baigné d’éclats de lumière incertains.
Un instant plus tard paraît, dansant une ronde joyeuse autour du garde-chasse figé, la petite Renarde : rien d’animalier chez elle, pas de costume poilu et roux, de masque : Elena Tsallagova (photo ci-contre) – qui a fait de la Renarde un de ses rôles signatures depuis qu‘elle l’a mise à son répertoire à Bastille en 2008, n’est vêtue d’une robe légère et pieds nus. Barrie Kosky s’est-il souvenu de la production historique de Walter Felsenstein au Komische Oper de Berlin (dont il a pris la direction voici dix ans,) en choisissant de s’opposer totalement à son hypernaturalisme ?

Crédit photos : Wilfried Hösl

Ce sera certain au poulailler du garde-chasse, sorte d’écran de plumes jaune poussin encastré dans la verticalité du décor forestier, moment irrésistible de drôlerie, façon opérette ou comédie musicale : les dames seront, cocottes de cabaret emplumées, du même jaune et en gants rouges, alignées autour d’un Coq vêtu de noir et coiffé d‘un haut de forme basculé, seront basculées d’un coup par la Renarde , arrachant têtes et bras devant la salle hilare.
Tandis que les humains garderont leurs caractères propres, avec un pasteur vraiment pasteur, un instituteur trop amateur de la bouteille, et Haraschta, le chasseur poète qui n’en tuera pas moins la Renard moqueuse d’un coup de pistolet rageur, les autres animaux de la forêt seront tout autant humanisés, mais de noir vêtus, tandis que la famille Renard agrandie aura pour elle le rose, l’ocre, le fauve, le parme, en un tourbillon de robes et de pantalons de couleurs. Quant à la scène du mariage, avec l’explosion vitale d’un orchestre de couleur de renouveau printanier des forces de la nature, elle offrira la forêt entière en rut, évoqué par les pieds croisés d’une dizaine de couples dépassant du rideau de rubans et pratiquant l’acte le plus naturel qui soit avec un entrain irrésistible, déchaînant à nouveau la joie du public. Faut-il alors évoquer les regrettables ébats des Troyens de la veille ? Ou est-ce trop cruel ?
Cette heure quarante-cinq de plaisir en scène est donc un enchantement, que fait redonder une distribution excellente, des plus petits rôles aux principaux. On retrouvera aux côtés du Pasteur sympathique de Martin Snell, Jonas Hacker, Hylas la veille, délicieusement imbibé, et avec Lyndsay Ammann, Anna, cette fois acariâtre en femme du garde chasse, qui convient mieux à son timbre. Les enfants du Kinder Chor de l’opéra sont eux aussi un plaisir .
D’Elena Tsallagova on connaît depuis bientôt quinze ans l’art à faire vivre et chanter la Renarde : si physiquement elle a mûri, elle n’en demeure pas moins d’une vivacité sidérante. Le Renard séducteur prend les traits d’Angela Brower, tout aussi charmante et enjouée. Haraschta est le magnifique Milan Siljanov, et Wolfgang Koch (photo ci-dessous) quatre jours après son Grandier est un somptueux Garde-chasse introspectif.
Et si Mirga Grazinyté-Tyla avait dirigé les premières représentations en janvier dernier, c’est Robert Jindra, un Praguois qui fait son chemin depuis 2001 dans dans les pays slaves et scandinaves, qui offre ici la leçon de poésie panthéiste et d’énergie vitale du vieux Janáček avec une plaisir communicatif à un orchestre décidément toujours aussi apte à adopter les styles les plus contrastés. On l’a déjà dit, un enchantement !
Munich, Bayerische Staatsoper, le 11 juillet