Marie-Claude Pietragalla est La Femme qui danse. Touchante, lumineuse et sincère, elle nous raconte quarante ans de passion.
Cela ressemble à une méditation poétique, un songe tendre et éveillé, quand la mémoire dérive et laisse remonter à la surface des bribes du passé. Elle est seule sur scène, silhouette longiligne et familière, une femme qui danse, et chacun de ses mouvements creuse l’espace et déchire le voile du temps pour faire rouler une nouvelle vague de souvenirs : ceux d’une petite fille de 8 ans, fascinée par un ballet de Béjart, qui rêve d’être danseuse, ceux d’une femme devenue étoile de l’Opéra de Paris, puis chorégraphe mondialement réputée, qui se retourne sur le long chemin qu’elle a parcouru…
Dans La Femme qui danse, pièce en solo actuellement en tournée en France*, Marie-Claude Pietragalla se livre à une introspection d’un genre inédit, une forme d’autobiographie par le geste et la parole. D’une voix psalmodique, elle se souvient, dit ses rencontres, ses bonheurs, ses émotions, ses douleurs aussi, s’interroge sur le sens de son art, évoque le don de soi qu’il exige à chaque instant. Elle parle, mais c’est le corps qui raconte. Une autre mémoire se réveille, et ranime les mouvements mystérieusement inscrits en elle au fil des années. La voilà à la barre, cet objet totem des danseurs, l’arme de leur rigueur quotidienne. Toujours se soumettre au même rituel, toujours repousser les limites…

Crédit photo : Pascal Elliot
Son monde parallèle
La voilà à l’Opéra, ce monde parallèle où l’on fait la révérence, sous l’œil impitoyable de Rudolf Noureev, le colérique, l’unique, qui la guide toujours aujourd’hui « comme une lumière protectrice ». La voilà étoile, au firmament de la danse, et le corps a gardé l’empreinte des belles héroïnes qu’il a incarnées : Odette, Kitri, Juliette, Esmeralda, Giselle… Et voilà encore évoqué son ami Patrick Dupond, Petit Prince parti dans les nuages, à qui elle dédie un passage touchant, et ces fonctionnaires grotesques, inspecteurs de la danse, qui lui demandent : « Pensez-vous vraiment que les artistes sont essentiels ? » La vie de la danseuse se révèle ainsi dans le flux de sa conscience – on songe à Virginia Woolf – que renforce la mise en scène onirique de Julien Derouault : les jeux de lumière modifient l’espace-temps et un dispositif de capteurs électroniques (création de Wilfried Wendling) métamorphose les gestes de la soliste en images et en sons – le son des gestes – qui se fondent dans la musique (Tchaïkovski, Bizet, Stravinsky, Massenet)…
« Le plus important, dit-elle soudain au public en rallumant la salle, c’est le sens que l’on donne au mouvement. Vivre le geste. » Quarante ans de danse, quarante ans de passion… C’est un souffle qui court tout au long de ce ballet atypique, comme le rythme d’un battement de cœur, celui de cette danseuse qui a noué un lien très intime avec son public, celui aussi des spectateurs qui se met à l’unisson, le rythme insatiable et incessant de la danse, « cette douce et implacable dépendance ».
* Jusqu’en juillet 2022 : www. theatre-du-corps.com/billetterie
La Femme qui danse est aussi le titre d’un ouvrage à deux voix coécrit par Marie-Claude Pietragalla et l’auteur de cette chronique (Le Seuil, 2008).