On aimerait parler d’autre chose. De nos coups de cœur, du palmarès annuel des CHOCS, du débat vivifiant autour de la mise en scène d’opéra au cœur de ce numéro. De nos espoirs aussi ; évoquer, qui sait, une lumière au bout de ce tunnel de restrictions, après l’instauration du couvre-feu, mal nécessaire qui précipite le monde de la culture vers le désastre. On voudrait s’étonner aussi que les propositions très raisonnables de la ministre de la Culture pour épargner ce secteur en détresse aient été retoquées sans ambages par le Premier ministre. On aimerait dire cela. Mais il n’y a qu’une chose qui hante et revient en boucle en cette période, c’est la décapitation de ce pauvre professeur, Samuel Paty, assassiné pour avoir fait son travail, et, avec elle, tout ce que ce crime représente en tant qu’acte de guerre contre notre pays, nos valeurs et nos libertés.

Glaçants à lire, les rapports de Jean-Pierre Obin sur la pénétration de l’islamisme à l’école montrent de quelle façon cette nouvelle hydre totalitariste étend son voile d’obscurantisme sur la République française et son école, dont la mission première est de former les citoyens et les esprits libres de demain. On y lit que, dans certains collèges et lycées, les textes de Rousseau sur la religion sont devenus difficiles à étudier, que Tartuffe se heurte à des réticences, que Cyrano de Bergerac ou Madame Bovary, œuvres jugées « licencieuses, libertines ou favorables à la liberté de la femme » posent problème. Imaginons Don Giovanni, Violetta, Carmen… ou Figaro !

Crédit photo : Silanoc

Au cinquième acte du Mariage, le héros de Beaumarchais fait cette triste expérience : « Je broche une comédie dans les mœurs du sérail ; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l’instant un envoyé… de je ne sais où se plaint que j’offense dans mes vers la Sublime Porte [… ] et voilà ma comédie flambée. » Un cri de révolte monté du Siècle des lumières, qui traque le fanatisme et la censure qui en découle, et dont l’étude, bien plus que mille prêchi-prêcha sur la laïcité et la tolérance feinte, reste notre plus belle arme pour la réflexion et la liberté d’expression de nos opinions. L’amour de notre langue, de notre roman national, des arts, et, transcendant toutes les barrières, de la musique, sont les meilleurs vecteurs d’émancipation, de formation du goût et de développement de l’esprit. Encore faut-il que ceux qui en ont la charge puissent l’exprimer par des mots. Il en va de notre survie.