Gloria de José Montalvo offre aux enfants que nous sommes une parenthèse d’insouciance survitaminée.

« Pas un jour ne s’écoule sans que nous ne vivions un instant de paradis », écrivait Jorge Luis Borgès. Comme l’écrivain argentin, le chorégraphe José Montalvo sait que le monde est cruel, mais a toujours refusé de se lover dans la complaisance du malheur. Directeur de la Maison des arts de Créteil, ses ballets sont comme des grappes de ballons multicolores. Sa dernière invention éphémère, Gloria, se revendique comme un hymne à la joie. Tout se mélange : les genres, les styles, les musiques… Un décor vidéo montre un bateau de papier qui tangue. On y lit « Tout est foutu, soyons joyeux ». Seize interprètes se rencontrent et virevoltent comme des particules aléatoires. Une ballerine sur pointes entame un pas de deux fougueux avec une interprète de flamenco, un virtuose du hip-hop se lie avec une danseuse africaine, les corps se mêlent et se dissocient dans un tourbillon fou, sur « Agitata da due venti » extrait de Griselda de Vivaldi interprété par Cecilia Bartoli, un extrait d’une pièce baroque, ou un air de musique traditionnelle moldave. Pas d’argument, mais une suite de dialogues frénétiques et l’on découvre alors des correspondances entre des gestuelles éloignées les unes des autres. C’est du Montalvo, un bazar inimitable, hors mode, hors convention, qui nous donne à voir la fragilité des corps humains mais il le fait sans pathos, et avec légèreté. Chaque mouvement semble affirmer ce paradoxe : la danse est un art nécessaire, vital parfois, parce qu’il est inutile. Nous avons besoin de cette futilité pour nous décharger un peu du poids du monde. Cet artiste-là est un philosophe qui s’oblige à la joie. La pièce ayant été remodelée au fil des déprogrammations dues à la pandémie, José Montalvo a inscrit ces ruptures dans le ballet lui-même : à plusieurs reprises, les danseurs se figent, et l’un d’eux explique au public pourquoi il danse, pourquoi on a tenté de l’en dissuader, pourquoi il s’est obstiné. Chacun raconte sa passion comme une urgence. Je danse donc je suis. Un ballet qui pétille comme du champagne, enivre un peu, et puis s’enfuit, comme un bref instant de paradis.

Crédit photo : Patrick Berger