C’est dans sa ville natale de Savone, où elle venait de mettre en scène La Voix humaine en juillet dernier, que la soprano Renata Scotto est décédée le 16 août à l’âge de 89 ans. Figure essentielle de la scène lyrique depuis les années 1950, cette tragédienne innée au parcours exceptionnel laisse un héritage artistique d’une valeur inestimable.

Renata Scotto dans le rôle de Manon, en 1981. © Bernard Gotfryd/Library of Congress
Fille d’un agent de police et d’une couturière, la jeune Renata naît le 24 février 1934. Elle connaît les affres du fascisme et de la guerre avant de découvrir avec ravissement l’univers de l’opéra à l’âge de 12 ans, en assistant à une représentation à Savone de Rigoletto avec Tito Gobbi. Son destin est dès lors scellé : décidée à devenir une grande cantatrice, elle se consacre désormais à la musique et entreprend des études de chant à Milan avec Emilio Ghirardini.
À l’âge très précoce de 18 ans, elle fait ses débuts sur scène à Savone en Violetta, rôle qu’elle reprend en 1953 au Teatro Nuovo de Milan. Au cours de la même année, elle aborde Butterfly à La Fenice, dont elle demeure l’une des interprètes les plus fameuses, puis foule les planches de La Scala dans le rôle travesti de Walter de La Wally, sous la direction de Giulini et aux côtés de Tebaldi et Del Monaco. Sur les conseils d’Alfredo Kraus, elle perfectionne sa technique quelques années plus tard auprès de Mercedes Llopart, professeure extrêmement réputée qui l’oriente vers le répertoire belcantiste.
Propulsée vers la gloire
Amina de La Somnambule de Bellini est d’ailleurs le rôle qui la propulse vers la gloire en 1957, à l’occasion d’une tournée de La Scala à Édimbourg. Maria Callas ayant refusé de donner une représentation supplémentaire de l’œuvre, Renata Scotto la remplace et connaît un triomphe sans précédent qui lui ouvre les portes des temples d’opéra les plus prestigieux : elle chante Gilda au Staatsoper de Vienne (1958), Rosina au San Carlo de Naples (1958), Mimì à Chicago (1960), Lucia di Lammermoor à Rome (1961), Micaëla aux Arènes de Vérone (1961), Cio-Cio-San à Covent Garden (1962), au Teatro Colón de Buenos Aires (1964) et au Metropolitan Opera de New York (1965), Leonora du Trouvère au palais Garnier (1974).

Renata Scotto © Bernard Gotfryd/Library of Congress
Une longue association avec le Met
Parmi ces institutions, le Met constitue longtemps son port d’attache, puisque, de 1965 à 1987, elle y totalise 314 représentations dans 25 rôles. Nommé directeur artistique en 1976, James Levine lui voue une prédilection marquée en lui permettant d’élargir son répertoire avec des rôles de plus en plus lourds. La soprano se mesure alors aux grandes héroïnes verdiennes comme Lady Macbeth, Elisabetta (Don Carlo), Desdemona, auxquelles elle ajoute les trois rôles féminins du Triptyque de Puccini, Berthe du Prophète, la Gioconda, Manon Lescaut, Vitellia (La Clémence de Titus) et Francesca da Rimini de Zandonai. Elle bénéficie en outre d’une visibilité inédite en participant aux premières retransmissions télévisuelles, entamées en 1977 avec La Bohème. Cette longue association avec le Met se termine en 1986-1987, alors qu’elle chante et met en scène Madame Butterfly.
50 ans après ses premiers pas sur scène
Au cours des quinze années suivantes, elle enchaîne mises en scène et prises de rôles étonnantes, qui prouvent sa volonté d’explorer plus avant le répertoire tout en se riant des catégories vocales : outre la Maréchale, La Voix humaine et Erwartung, elle chante Kundry, Charlotte, Madame Flora (Le Médium) et fait ses adieux en Clytemnestre dans Elektra (Séville), en 2002, soit exactement cinquante ans après ses premiers pas sur scène. Ses vingt dernières années, elle les consacre à d’autres mises en scène et à la transmission de son art, notamment à la Juilliard School et l’Académie Sainte-Cécile de Rome.
Souvent comparée à « la prudentissima » Mirella Freni, avec laquelle elle enregistra un superbe récital en 1978, Renata Scotto était une chanteuse-actrice d’une intensité peu commune qui savait compenser les fêlures de son instrument et l’acidité de son aigu par son extraordinaire intelligence musicale, dont témoignent ses très nombreux enregistrements. Plutôt que de chercher à opposer ces deux immenses artistes aux tempéraments contrastés, reconnaissons plutôt qu’elles furent tout simplement les deux plus grandes cantatrices italiennes de la seconde moitié du XXe siècle.