À la voix et au piano, rien ne pèse ni ne pose avec Christiane Karg et Malcolm Martineau.

Gustav Mahler (1860-1911)
« Erinnerung ».
Des Knaben Wunderhorn (extraits). Lieder und Gesänge aus der Jugendzeit.
Rückert-Lieder
Christiane Karg (soprano),
Malcolm Martineau (piano)
Harmonia Mundi HMM905338. 2019. 1h10

Christiane Karg et Malcolm Martineau semblent nous faire entendre ces œuvres pour la première fois, enlevées, légères, d’une modernité surprenante. Aussi bien dans les lieder populaires que dans les Rückert-Lieder, les deux artistes, par la liberté et la fraîcheur de leur prise de parole, suscitent un émerveillement sans fin à mesure que l’on traverse le disque. Car il s’agit bien de traverser : rien qui ne pèse ni ne pose, à la voix comme au piano. Dans Le Prêche de saint Antoine aux poissons, l’humour cher à Mahler se combine au plaisir de la description : le frétillement des nageoires dans le verbe « g’fallen », le suspense de la dernière strophe appartiennent davantage à la veine d’un Fischer-Dieskau fourmillant d’idées qu’à la franche parodie que l’on peut trouver chez Christa Ludwig.

Martineau, d’une sensibilité qui évoque Hartmut Höll, narre autant l’histoire que la chanteuse. Il prend la parole dès la première note de Rheinlegendchen qui sonne tel un appel urgent et nous capte aussitôt. Jamais automatique, jamais droit, son jeu prend mille chemins : libre avec le tempo, l’infime élasticité qu’il s’accorde toujours ouvre des espaces insoupçonnés; d’une clarté cristalline, il sait aussi embrasser les motifs dans un geste presque désinvolte, comme les arpèges de Ichatmet’ einen linden Duft, où le piano se fait harpe. Même à nu (Ich bin der Welt), il sait réchauffer chaque note.

Vocalise limpides

Chez la soprano, on admire l’élégance du phrasé, la souplesse de la voix qui se coule dans la ligne pour servir le texte, les vocalises limpides de Wer hat dies Liedlein erdacht ?, un art sans limite qui lui permet d’exprimer mille facettes de l’âme humaine : infinie tendresse (Liebst du um Schönheit), malice ensorcelante (Verlorne Müh’), gravité magique (Ichbin der Welt). La maturité des deux interprètes offre des couleurs d’une richesse extraordinaire. Le temps file, et pourtant l’on touche à l’infini.