Par ce disque sans égal, Solstice vient célébrer l’œuvre d’un musicien non moins incomparable, l’un des plus éminents organistes de la seconde moitié du XXe siècle.
Nec pluribus impar. De la devise du Grand Roi, Guillou eût pu faire son épitaphe. Sa démesure, son sens inné de la dramaturgie et son goût des visions grandioses en firent en effet l’un des plus grands musiciens organistes de la seconde moitié du xxe siècle. Chaque note, chaque accent, chaque intonation porte sa marque et nul ne peut s’y tromper : c’est Guillou !
Rare personnalité dans un milieu si souvent conventionnel dont cette publication d’inédits, captés aux grandes orgues de Notre-Dame de Paris entre 1969 et 1976 par François Carbou, nous rappelle la force tout à fait unique. Ces témoignages exceptionnels nous replongent à une époque glorieuse pour l’orgue en France : Cochereau poursuivait à Notre-Dame la tradition symphonique issue de Franck cependant que Guillou s’attachait à faire sortir l’orgue des carcans de la tradition et que les organistes de Saint-Séverin redécouvraient la facture et le répertoire classiques.
Ils nous permettent également d’entendre des œuvres moins connues du compositeur, pour certaines d’entre-elles largement remaniées depuis (Pour le tombeau de Colbert et Allen, qui devinrent les deux Ballades ossianiques), mais qui toutes portent déjà la marque d’un geste lisztien dans la virtuosité, la verve rhapsodique et la poésie symphonique. Ces pages prennent, sur l’orgue de Notre-Dame, à l’héroïsme et aux accents eux aussi, alors, incomparables, une force inouïe. L’auditeur est saisi, transi même, dès les premières inflexions de La Chapelle des abîmes, d’après le Château d’Argol de Gracq, desquelles la prise de son rapprochée préserve tout le mordant malgré l’acoustique généreuse de la cathédrale.
Mêmes ingrédients dans Allen, immense fresque orchestrale. La Saga 1 permet d’apprécier un exemple de ces pages de douce rêverie dont Guillou n’était pas avare, sans jamais toutefois se départir de cette ambiance barbare qu’un Leconte de Lisle aurait appréciée. Le sommet du disque est atteint avec le Tombeau de Colbert, une œuvre ciselée, uniformément lyrique, sachant jouer sur les détails comme les grands ensembles, aux harmonies chaudes qui trouvent sur les fonds graves et les flûtes cristallines de Cavaillé-Coll un moelleux percussif d’une rare beauté. C’est un Guillou d’une précision exceptionnelle qu’il nous est donné d’entendre et c’est sans conteste un disque magistral que l’on se propose d’accueillir.

« Guillou joue Guillou
à Notre-Dame de Paris »
La Chapelle des abîmes.
Saga 1. Pour le tombeau
de Colbert. Allen.
Improvisation
Jean Guillou (orgue)
Solstice Fy SOCD 386. 1969-1976. 1 h 21