Augustin Pfleger, ce grand oublié, a pourtant fourni des pages fascinantes. En atteste ce très beau programme imaginé par Martin Wåhlberg.

Augustin Pfleger
(1635-ca.1686)
« The Life and Passion
of the Christ »
Orkester Nord, Vox Nidrosiensis,
dir. Martin Wåhlberg
Aparté AP249. 2018. 1 h 12
« La Vie et la Passion du Christ » n’est pas une œuvre constituée, mais un cycle de « six concerts sacrés qui racontent, par touches, une vie de Jésus telle qu’elle pouvait se suivre au fil de l’ordinaire d’une année liturgique dans une paroisse luthérienne du milieu du XVIIe siècle », nous apprend David Le Marrec dans la passionnante notice. Centon de la Bible (Ancien et Nouveau Testament mêlés), le livret occasionne quelques redites, parfois au sein de la même pièce ; mais une nouvelle dramaturgie découle de cette mosaïque des Écritures, prétexte à un étonnant laboratoire formel et musical où le genre de la cantate dialoguée, nourrie des influences italienne et franconienne, apparaît comme le chaînon manquant reliant l’héritage de Schütz et Monteverdi à la musique typique d’Allemagne du Nord incarnée par Buxtehude puis Bach.
Très présent en ces contrées hanséatiques (Augustin Pfleger, natif d’Ostrov, officia à Gottorf et Güstrow), le psaltérion colore de ses gouttelettes argentées un instrumentarium comprenant cinq cordes, théorbe et orgue. De L’Annonciation à L’Apparition aux Onze du Corps ressuscité en passant par la Passion, cœur émotionnel du disque, Martin Wåhlberg et les cinq chanteurs de Vox Nidrosiensis sont nos guides à travers ce parcours spirituel. Deux sopranos ou deux ténors, chantant généralement à la tierce, assurent les rôles collégiaux (disciples, fidèles…).
Dans La Fille possédée, les sonorités vibrantes des violes enrobent les paroles du Christ, suggérant la surréalité comme le ferait l’arrière-plan doré des mosaïques byzantines. La basse Håvard Stensvold, qui ouvre la bouche comme une grotte et dont l’empan de la tessiture n’a d’égal que celui du nuancier, campe un Jésus tour à tour sentencieux et malicieux : ainsi du Chemin d’Emmaüs, où il use d’un chant orné à la manière du « Possente spirto » de L’Orfeo face à des disciples interloqués. Hasard ou providence, Pfleger signifie « soignant » : en ces temps difficiles pour les arts et la culture, cette musique d’élévation arrive à point nommé pour panser les plaies de nos âmes.