Avec Natalia Matsak, étoile du Ballet national d’Ukraine, le célèbre mythe romantique prend un nouveau sens.

Elle s’effondre et perd la raison, la tête dans les mains, anéantie par la douleur, enfermée dans son monde intérieur… Combien de fois a-t-on été ému par cette scène culte de Giselle, lorsque l’héroïne trahie sombre dans le désespoir et la folie ? Mais ce soir-là, au Théâtre des Champs-Élysées, l’émotion prenait un nouveau sens : impossible, en regardant Natalia Matsak, étoile du Ballet national d’Ukraine, de ne pas y voir l’incarnation d’une autre souffrance, d’un autre drame, bien réel celui-là.

Invitée à Paris par les productions Sarfati, la compagnie avait dû renoncer à sa dernière création, La Reine des Neiges, faute d’avoir pu la répéter à cause des coupures d’électricité à Kiev, et choisit de présenter à la place le célèbre mythe romantique dans la version de Marius Petipa de 1887. « Chez nous, nous vivons dans un autre monde, dans une autre dimension », me confiait Natalia avant la représentation. Ses mots étaient lourds du poids de la guerre, lourds des souffrances de ses proches…

Et puis, les notes d’Adolphe Adam ont résonné (orchestre Prométhée dirigé par Dmytro Morozov), ils se sont élancés, resplendissant de vitalité et de beauté, et on avait du mal à croire que ces jeunes gens-là, qui interprétaient avec tant d’ardeur cette histoire d’amour et de fantômes inventée par Théophile Gauthier au xixe siècle, nous arrivaient de l’enfer.

Natalia Matsak dans Giselle
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Magnifique dialogue des couleurs entre décors et costumes, belle présence du corps de ballet, et Natalia Matsak véritablement habitée par son personnage, amoureuse naïve au premier acte, métamorphosée en fantôme éthéré dans l’univers spectral du second. L’étoile s’envolait haut dans ses portés avec Sergii Kryvokon (en Albrecht solide et convaincant), et chacune de ses arabesques était une merveille de fluidité. L’opposition troublante entre imaginaire et réalité, thème central de l’œuvre en deux actes, entrait en résonance avec l’actualité. « Danser, c’est notre manière à nous, artistes, de lutter, de montrer que notre culture est vivante, que notre pays est debout », me disait encore Natalia. Par la grâce d’une œuvre intemporelle, la danse, cet art de l’indicible, vibrait ce soir-là comme un acte de résistance, la revendication farouche de la beauté.

Giselle. Théâtre des Champs-Élysées. Paris. Du 21 décembre 2022 au 5 janvier 2023