J’ai découvert John Eliot Gardiner par le disque (Vêpres de la Vierge de Monteverdi), lycéen à Verdun, puis, je l’ai entendu au concert (Les Saisons de Haydn), étudiant à Strasbourg. D’autres expériences mémorables (Messe en si mineur de Bach, Ode à sainte Cécile de Purcell, Symphonie fantastique, Messe solennelle et Les Troyens de Berlioz, Falstaff de Verdi…) ont conforté mon admiration.

Je prends la direction des spectacles du château de Versailles en 2007, et envisage bien sûr de l’inviter. L’opéra, réouvert deux ans plus tard, et la Chapelle royale d’une renversante beauté, semblent l’attendre. En 2010, le miracle se produit : pour célébrer les trois cents ans de la Chapelle royale, John Eliot Gardiner vient interpréter les Vêpres de Monteverdi, qui fêtent leurs 400 ans en cette même année. Le maître arrive en début d’après-midi. Nous sommes curieux l’un de l’autre, moi fasciné par lui, lui fasciné par la Chapelle. Il n’est jamais venu jouer à Versailles, comprend aussitôt l’intérêt d’y spatialiser la musique. Le chef s’adresse d’abord aux chanteurs pour la mise en place. C’est un échange très intime, complice. Il envoie à la galerie haute, devant la. tribune du grand orgue, un chanteur qui, tel un stentor, entonne le « Deus in adiutorium meum intende », aussitôt suivi du tutti mythique, d’une force percussive extraordinaire… Je suis resté ébahi durant toute la répétition. Le concert fut fabuleux. Nous refîmes les Vêpres « de Gardiner » en 2014, qui furent filmées, puis à nouveau en 2015 et 2017.

Un programme mortel

En 2014 on célèbre Rameau, et pour les 50 ans du Monteverdi Choir je réussis à convaincre John Eliot de faire un programme « mortel » réunissant Bach (Christ lag in Todesbanden, extraordinaire) et le Dixit Dominus de Haendel (il y est inégalable…) en plus de In convertendo de Rameau : quelle soirée !

Bach, Christmas Oratorio, Chapelle Royale du Château de Versailles, 11 Décembre 2022.
Crédit photo : Markus Thiel

« Voyage d’automne à Versailles » : c’est ainsi que nous avons nommé trois projets liés, présentés en octobre et novembre 2015 au château. Tout d’abord Orphée et Eurydice de Gluck dans la version de Paris, à l’Opéra Royal, d’une rare somptuosité ; puis les Vêpres de Monteverdi à la Chapelle et dès le lendemain L’Orfeo du même Monteverdi dans la galerie des Glaces. Le doublé Monteverdi (quatre concerts en quatre jours) fut passionnant mais assez éreintant pour les interprètes, entre répétitions et représentations qui se succédaient, notamment le dimanche : raccord Vêpres à 11 h, puis concert Vêpres à 15 h à la Chapelle, puis, après installation technique partielle, répétition de L’Orfeo dans la galerie des Glaces à 19 h ! Évidemment pour le public passer de l’un à l’autre était une sorte de rêve éveillé, d’une extraordinaire richesse musicale.

Un terrien qui aime son bétail

Lors de la remise en place du décor historique de Ciceri pour l’Opéra Royal, datant de 1838, dans lequel Berlioz donna à Versailles en 1848 un concert colossal (quatre cents interprètes !), c’est évidemment John Eliot Gardiner qui est à la manœuvre, plein de grandeur dans ce décor qui lui convient parfaitement, faisant chauffer à blanc la Symphonie fantastique, complétée de merveilles avec Lucile Richardot en soliste. Puis nous avons présenté Benvenuto Cellini, toujours de Berlioz, dans le même décor ; voyant le dispositif se mettre en place à la répétition, je trouvais le gradin du chœur trop éloigné à cause de la taille de l’orchestre placé devant. Je confie au chef ma crainte de voir le chœur couvert par l’orchestre (considérable !). Il me répond à la volée comme interloqué : « Mais c’est Monteverdi Choir !!! » Et en effet, ça a envoyé comme un uppercut ! J’aime ce terrien (comme mes racines) qui se soucie sans doute plus de ses animaux que de ses tournées de concert. Il y a quelques années, nous l’attendions tôt dans l’après-midi pour la répétition. Il a retardé son arrivée car il attendait, dans sa ferme, le vétérinaire pour son chien malade, et ne voulait pas l’abandonner sans connaître son sort… qui fut assez favorable pour permettre le concert. Et il faut l’entendre parler de son bétail ! Cela mériterait un livre, après sa somme sur Bach…