À 77 ans, la chanteuse, compositrice et actrice Françoise Hardy affirme ainsi être « aux portes de la mort » et se prépare à passer « dans une autre dimension ». Elle a néanmoins accepté de répondre (par écrit, l’oral lui infligeant trop de souffrances) à notre questionnaire.

Françoise Hardy

Françoise Hardy. DR

Quelle fut votre première émotion musicale?

Ma mère n’avait aucune culture musicale. Elle est d’ailleurs tombée amoureuse pour la seule fois de sa vie d’un Autrichien qui travaillait à l’OCDE. Il lui a ainsi offert un pick-up et deux disques de musique classique : Une petite musique de nuit de Mozart qui ne me faisait d’ailleurs ni chaud ni froid et la 7e Symphonie de Beethoven qui m’a alors tout de suite touchée pourtant j’étais encore petite puisque je lisais les Contes verts de ma Mère-Grand. J’ai ainsi associé cette belle musique au conte La Dame au blanc visage, qui me fascinait.

Et la plus récente?

Te ressembler de Francis Cabrel et Mon refuge de Julien Clerc, qui ont fait mieux très souvent mais restent tout de même au-dessus du lot.

Quelle place occupe la musique dans votre vie?

La chanson occupe une place majeure dans ma vie. Chaque jour, j’entends des chansons nouvelles à la radio en me disant d’ailleurs que le niveau général a terriblement baissé. Depuis toujours, je suis à l’affût des belles mélodies intemporelles et je réécoute d’ailleurs très souvent les chansons que j’aime. Celles de Thomas et Jacques bien sûr, mais aussi de Juliette Armanet, Véronique Sanson et beaucoup d’autres par ailleurs.

Jouez-vous ou avez-vous joué d’un instrument? Si non, de quel instrument aimeriez-vous jouer?

J’ai composé toutes mes mélodies sur quelques accords bateau de guitare que j’avais appris par ailleurs dans une petite méthode élémentaire. Composer des mélodies m’intéresse d’ailleurs davantage que de bien jouer d’un instrument d’ailleurs. Mais les grands pianistes et les grands guitaristes m’impressionnent ainsi beaucoup.

Comment avez-vous découvert la musique classique?

Comme je l’ai évoqué, puis avec deux chansons de Georges Guétary, La Valse des regrets d’après Brahms et Andalucia d’après Granados. Je ne sais plus comment j’ai découvert, bien plus tard, le Concerto n°2 de Rachmaninov. Le sublime Adagio du Concerto n°5 de Beethoven, c’est en voyant un film. J’ai oublié le film, mais pas la musique.

Quels sont vos compositeurs préférés?

En musique classique : Beethoven, Chopin, Rachmaninov, Schumann, Richard Strauss pour Métamorphoses… Comme en chanson, je focalise plus sur des morceaux, des œuvres, que sur un compositeur, car il est très rare que je connaisse et apprécie tout.

Quels sont les compositeurs qui ne vous attirent pas?

Bach est le premier qui me vienne à l’esprit. J’y suis assez insensible. Je ne suis pas folle de Mozart non plus. En réalité, j’aime avant tout la musique romantique.

Quelle est l’œuvre que vous placez au-dessus de tout?

Le Concerto n°2 de Rachmaninov, car il me bouleverse du début à la fin, contrairement à la plupart des concertos dont l’adagio m’émeut d’ailleurs plus que le reste.

Quel(s) est (sont) votre (vos) interprète(s) de musique favori(s)? Pourquoi?

Je vénère Martha Argerich pour plusieurs raisons. Elle a tout d’abord une main gauche extraordinaire qui sonne formidablement et « casse » ainsi certaines notes là où il faut et d’une façon unique, géniale. Non seulement elle sait donner du relief aux œuvres qu’elle interprète, mais elle a par ailleurs un rythme qui n’appartient qu’à elle. Elle fait ainsi presque swinguer Bach par exemple ! Et puis sa personnalité est aussi très attachante. J’aimais, j’aime Richter sur tous les plans également. Je me suis ensuite un peu intéressée à Glenn Gould aussi.

Quel est votre opéra préféré?

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours détesté le chant lyrique et l’opéra. Quand j’entendais des extraits à la radio cela m’indisposait : trop solennel, trop pompeux, trop peu naturel. La seule fois où j’ai été vraiment touchée, c’est par Cecilia Bartoli quand elle chante « Casta Diva ». Je lui trouve un feeling supérieur à celui d’autres cantatrices et la mélodie est extraordinaire.

Dans votre famille, qui vous a initié la musique?

Personne justement. Ce pour quoi je suis totalement inculte en musique !

Vous écrivez un livret d’opéra.
Quel compositeur (mort ou vivant) pour le mettre en musique
?

Oublions cette question absurde !

Avez-vous rencontré des musiciens? Que vous ont-ils apporté?

Ils m’impressionnent tous. La première que j’ai rencontrée a été Hélène Grimaud, elle est admirable à bien des égards. Je me sens toute petite à côté de grands artistes comme Martha ou Hélène. Ils m’ont apporté une curiosité pour la musique classique que je n’avais pas jusque-là, en particulier pour les concertos pour piano. Mais mon univers est si différent du leur qu’il serait impossible que je sois en relation avec eux. J’ai été un peu amie avec Piotr Anderszewski. J’aimais parler avec lui. On parlait de vie privée plus que de musique…

Quels sont les trois disques que vous emporteriez sur une île déserte?

Le Deuxième de Rachmaninov dans la version dirigée par Jascha Horenstein [Earl Wild au piano, NDLR] car, bien qu’un peu rapide, c’est celle qui valorise le mieux les cordes. L’album live de Jacques au Casino de Paris ainsi qu’un album live de Thomas, son concert au Bataclan, à ses débuts, ou « Live is Love ».

Qui pour jouer à vos funérailles?

Personne. Dans la stricte intimité qui sera de mise, il y aura deux grands artistes : Jacques et Thomas. Peut-être pourraient-ils faire entendre l’enregistrement de l’entrée en scène de Thomas lors de sa première tournée avec une musique de Django Reinhardt. Cette entrée en scène était géniale, c’est l’un de mes meilleurs souvenirs, et réentendre cet enregistrement me met immanquablement les larmes aux yeux.

Quelle définition pour la musique?

La musique très inspirée – que ce soit dans le domaine de la chanson, de la musique classique, de la musique de film ou du jazz – est transcendante. Elle est de source divine et fait accéder à cette dimension-là.

Quelle musique pour être joyeux?

Celle de Charles Trenet ou de Mireille…

Quelle musique pour entrer au plus profond de sa tristesse?

Le Deuxième de Rachmaninov. L’Adagio du Cinquième de Beethoven, celui du Concerto en sol de Ravel ou du Deuxième de Chostakovitch.

Quelle musique pour tout remettre en place dans sa tête et dans son cœur?

J’aimerais bien le savoir !

Quelle musique pour célébrer Dieu?

Toutes les musiques réellement inspirées.

Comment pourriez-vous définir l’effet de la musique sur la sensibilité humaine?

Impossible de définir ça. Il y a trop de musiques et de sensibilités différentes. Il y a les musiques qui tirent vers le bas et celles qui tirent vers le haut.

Quel est l’écrivain qui vous semble le plus musical?

Les grands écrivains ont forcément une musicalité, un rythme dans leur écriture. Le premier qui me vienne à l’esprit est Patrick Modiano. Marguerite Duras aussi dans plusieurs de ses romans…

Quel est le peintre dont vous entendez la musique?

Je ne connais pas grand-chose à la peinture, qui ne m’a jamais beaucoup intéressée. J’ai admiré en passant des tableaux de Georges de La Tour, Dalí, Bacon ou Goya, dernière période. J’en ai peut-être « vu » la musique mais je ne l’ai pas entendue.

Quel est le bâtiment ou monument qui pourrait selon vous correspondre à l’expression de Goethe, «musique pétrifiée»?

Il faudrait pouvoir lui demander ce qu’il entendait par là !

Quel est le lieu naturel qui vous semble comme une symphonie?

Ça ne me vient pas à l’esprit.

Qu’entendez-vous dans le silence?

Des petits bruits parfois inquiétants. Le silence total me fait peur car c’est la mort.

Quel compositeur pour ressusciter les morts?

Pas besoin d’un compositeur. La mort n’est que celle du corps physique et elle est aussi la libération de l’âme qui retourne à la dimension d’où elle est venue, enrichie par tout ce que sa vie lui aura appris. Comme disent les bouddhistes, le cerveau n’est que le support physique de l’esprit.

Quelle œuvre pour célébrer la vie?

Toute œuvre grande et belle, une chanson, un concerto, un tableau, un livre, un film, qui font du beau avec du douloureux, sont un hommage à la vie.

Avec qui partager vos musiques préférées?

Dès que je découvre une musique qui m’enthousiasme, comme celle de Cigarettes After Sex ou d’Oren Lavie, j’assomme tous mes proches avec ça.

Chansons sur toi et nous, Françoise Hardy, Équateurs, 24 €.