Pour sa quarante-et-unième édition, le festival Musica fait rayonner la création musicale dans tout Strasbourg. Aperçu de cette pléthore de propositions vues le week-end d’ouverture.

Festival Musica. Crédit Photo : Philippe Stirnweiss

Les festivités commencent vendredi 15 septembre à la Laiterie par un concert de l’Ensemble Asko / Schönberg qui interprète Vespers for a New Dark Age de Missy Mazzoli. Une vision pop du rituel des vêpres, avec synthétiseur et trio choral au lyrisme typiquement minimaliste. Puis les musiciens de ce remarquable collectif hollandais enflamment la salle par une version incandescente de Hoketus de Louis Andriessen.

Deux sections de cinq musiciens jouant de la flûte de pan, du piano électrique, des percussions et de la contrebasse se font face. Ils  se livrent alors à une bataille fiévreuse pour construire une phase harmonique ascensionnelle à partir de ce jeu rythmique médiéval, le hoquet. Le lendemain matin, on retrouve des solistes d’Asko / Schönberg à l’église du Temple Neuf. Ils y déploient avec clarté et vivacité la Sequenza VIII pour violon de Berio, Trois pièces pour clarinette de Stravinsky, Blokken de Louis Andriessen, Thirteen harmonies de John Cage et Contrastes de Bartók.

À 18h30 au hall Grüber du Théâtre national de Strasbourg, un concert sous casque permet de redécouvrir A-Ronne de Berio précédé d’une longue introduction électronique de Sébastien Roux.  Les spectateurs déambulent dans un espace obscur, munis d’écouteurs diffusant cette pièce à huit voix du compositeur italien, dont le dispositif réalisé par Joris Lacoste repose sur un jeu de lumières et une chorégraphie des chanteurs disséminés dans le public.

Don Giovanni aux enfers, une hybridation virtuose de citations

Don Giovanni. Crédit Photo : Klara Beck

Enfin arrive le clou de la journée, la création mondiale de Don Giovanni aux enfers à l’Opéra national du Rhin. Compositeur, mais aussi auteur de la mise en scène, des décors, de la vidéo et des lumières, Simon Steen-Andersen fait jouer la dernière scène de l’opéra de Mozart quand Don Giovanni est jeté aux enfers.

Commence alors un invraisemblable périple dans les limbes du séducteur damné – Christophe Gay, incarnant avec plasticité un Don Giovanni parfois transformé en Ulysse monteverdien – accompagné par un diable joueur et cynique, Polystophélès – extraordinaire Damien Pass habitué de ce type d’incarnation jouant aussi Lucifer dans le Licht de Stockhausen. Défilent une succession fantasmagorique de scènes constituées de fragments issus d’une quarantaine d’opéras. Le compositeur danois confectionne ainsi une hybridation virtuose de citations qui confrontent Don Giovanni à d’autres personnages relégués aux enfers, du Iago de Verdi au Faust de Gounod en passant par le Don José de Carmen.

Le Démon de Rubinstein fait plusieurs apparitions pour déplorer son mal-être, accompagné uniquement par une guitare électrique, quand des extraits déformés du méconnu Francesca de Rimini de Rachmaninov à Robert le diable, La Damnation de Faust, La Gioconda en passant par Orphée aux enfers viennent alimenter cette course aux abîmes dans laquelle Don Giovanni est entrainé. Inventive et joyeuse, la mise en scène de Steen-Andersen alterne vidéos cocasses explorant les arcanes de l’opéra du Rhin et scènes extravagantes sur le plateau tandis que les six chanteurs jouant de multiples rôles enthousiasment par leur fraicheur et leur implication. Dirigé par Bassem Akiki, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg épaulé par six musiciens de l’ensemble Ictus réussissent à fondre tous ces fragments d’opéras modifiés avec éclat pour créer un foisonnement perpétuel de couleurs et d’énergie.

Une nuit consacrée à la musique

S’ensuit une nuit consacrée à la musique pré-minimaliste de l’inconnu absolu Jean Catoire qui permet de découvrir au Palais des fêtes des phénomènes sonores proche du Satie des Vexations et de sa musique d’ameublement. Tôt dimanche matin, un Concert pour soi nous est réservé, où votre serviteur siège seul dans le salon d’un grand appartement strasbourgeois où la violoncelliste Marie Schmit joue la Sarabande de la Suite n° 5 de Bach, puis Songs to Banish the Winter de Jesse Broekman. Pendant l’exécution de cette pièce une armoire vrombit et s’ouvre sur une mystérieuse pièce enfumée où trône un tableau onirique de John Martin. Dans le même temps, une seconde violoncelliste surprise, Eva Boesch, surgit inopinément, s’installe et joue la fin de la pièce de Broekman avec sa consœur avant de conclure seule ce très étrange récital par l’ultra dépouillé Ai limit della notte de Salvatore Sciarrino.

À 11h, heure de l’office dominical, la spiritualité débridée d’Olivier Greif est programmée par le public – ici un spectateur ayant assisté aux quarante éditions de Musica – au Münsterhof, prouvant l’ouverture d’esprit de Stéphane Roth, le directeur artistique du festival. La sonate Les plaisirs de Chérence déploie les ténébreux orages de Greif sous les doigts agiles du pianiste Pascal Amoyel qui avec la violoncelliste Emmanuelle Bertrand anime avec puissance Oi Akashe et la Sonate de Requiem. Le week-end s’achève par une fiction sonore en plein air dans le quartier de Wacken, où une déambulation musicale sous casque – texte de Lucie Taieb, musique d’Eve Risser et Antoine Spindler, réalisation de Gaëtan Gromer – permet de découvrir les mutations d’un espace urbain accueillant l’anxiogène architectonie du parlement européen mais aussi l’inquiétante étrangeté de la cité-jardin hygiéniste Ungemach.

Strasbourg, les 15, 16 et 17 septembre.

Pour plus d’informations

Site du festival Musica  festivalmusica.fr

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