Depuis sa fondation en 1950 par André Böröcz, cette manifestation légendaire a accueilli le gotha du monde musical sans oublier de faire découvrir de jeunes solistes talentueux.
Sous la direction artistique du chef d’orchestre Paul-Emmanuel Thomas, la tradition de qualité se poursuit dans un environnement historique : le parvis Saint-Michel situé entre deux superbes églises baroques du XVIIIe siècle donnant sur la Méditerranée pour les concerts du soir ou le palais de l’Europe en centre ville pour ceux de l’après-midi.
La violoniste Geneviève Laurenceau et le pianiste David Kadouch se produisent dans le salon spacieux de ce bâtiment de 1909, jadis casino de la ville. Fusionnels, les deux solistes font cohabiter allégresse et envers du miroir dans la Sonate en mi mineur K. 304 composée en 1708 à Paris par Mozart lors de son dernier voyage en France si problématique. Soucieux de clarté, les deux protagonistes allègent ensuite à bon escient la Sonate n° 1 en sol majeur « Regen Sonate » op. 78 de Brahms : à la souplesse d’archet et à la sonorité affinée du Goffredo Cappa turinois de 1700 que Geneviève Laurenceau vient d’acquérir, répond la richesse d’expression d’un pianiste jouant sur un Yamaha qui demande à être dompté mais ne se cabre jamais. Plus qu’un affrontement dialectique, la Sonate « A Kreutzer » de Beethoven alterne climat apollinien (les Variations), phrasé épuré et engagement dans le final au risque de la rupture. Bis de détente avec Schön Rosmarin de Kreisler d’une Vienne revisitée.

Crédit photo : Valery-Khung
Dans la même salle, Kim Bernard, né à Hyères en 1999, premier lauréat de la fondation Gautier Capuçon, se montre déjà un pianiste aguerri. Il commence l’apprentissage de son instrument à l’âge de cinq ans et se fait remarquer très jeune dans de nombreuses compétitions dont le concours Cziffra en 2018. Il vient d’ailleurs de publier son premier album pour le label Erato (compte-rendu dans notre prochain numéro) dont il présente ici la quintessence. Les pages de Chopin (Ballade n° 4, Berceuse, Barcarolle) sont interprétées avec style et sens de la construction mais demanderaient un peu plus de liberté et de lâcher-prise ; toutefois, la maîtrise technique demeure impressionnante. Le Livre I des Images et L’Isle joyeuse de Debussy comme Le Tombeau de Couperin de Ravel respirent davantage avec une qualité de sonorité très étudiée, une sensibilité harmonique recherchée (Reflets dans l’eau) et une aisance digitale jamais prise en défaut. Sans conteste, un artiste à suivre.
Avec Pierre-Laurent Aimard, l’intelligence est toujours au pouvoir. Aussi le concept de fantaisie, exploré dans un récital sur le parvis Saint-Michel à la tombée de la nuit, prend-il toute sa dimension. Se succèdent ainsi des pièces baroques (Fantasia chromatica de Sweelinck) et classiques (Fantaisies pour piano en do majeur de C.P. Emanuel Bach et en do mineur KV. 475 de Mozart), puis la Fantaisie de Beethoven dont on comprend que les sautes d’humeur aient pu éloigner les interprètes soucieux de continuité organique. Sous les doigts experts de Pierre-Laurent Aimard, la partition prend l’allure d’une errance savamment contrôlée dans l’esprit des Bagatelles. Après l’entracte, des extraits des Années de Pèlerinage de Liszt : Aux Cyprès de la Villa d’Este, Jeux d’eau à la Villa d’Este et Vallée d’Obermann parcourent toutes les faces du romantisme dont le pianiste sait aussi extraire la modernité. Pour conclure, trois des Jatekok (« Jeux ») de Kurtág retrouvent précisément le dépouillement inventif d’haïkus musicaux aux limites du silence.
Festival de Musique de Menton, parvis Saint-Michel et salon de Grande-Bretagne du palais de l’Europe, 4 et 5 août.