Quatre soirées sont trop peu pour rendre compte de la richesse de la programmation du festival de Munich mais sont assez pour donner un aperçu de son excellence artistique.

À ce titre, ce sont davantage les qualités des chanteurs et de la direction d’orchestre qui font le sel de la production du Hamlet de Brett Dean créé à Glyndebourne il y a six ans. L’œuvre du compositeur australien souffre d’une disproportion entre ses deux parties due à livret sans doute trop respectueux de la tragédie shakespearienne tandis que la mise en scène n’expose aucune vision particulière de cet anti-héros auprès duquel tout le monde succombe. Heureusement, la représentation munichoise révèle les talents éclatants de Caroline Wettergreen en Ophélie et surtout de Sean Panikkar en Laërte, tandis que l’incroyable Allan Clayton montre un approfondissement du rôle-titre et que Vladimir Jurowski obtient de l’Orchestre d’État de Bavière un rendu extrêmement flatteur du monde sonore voulu par le compositeur.

Alexander Tsymbalyuk dans Boris Godounov

Crédit photos : W. Hoesl

Alexander Tsymbalyuk au sommet dans Boris Godounov

La direction de Vasily Petrenko constitue en revanche le point faible de la reprise du Boris Godounov de Moussorgski transposé dans la Russie moderne mafieuse par Calixto Bieito. En adoptant des tempos ultra-rapides le chef nuit à l’inquiétude générale de la pièce et plus encore aux personnages. Il faut beaucoup d’efforts aux chanteurs pour résister à ce lissage impavide. Si l’on relève parmi les petits rôles un jeune baryton anglais plus que prometteur, Tom Mole, seul Alexander Tsymbalyuk s’accommode de cette contrainte. Son Boris montre un homme anéanti qui revient vers une animalité bouleversante. La voix, d’une suavité sublime sachant parfois perdre toute contenance, achève d’inscrire cette incarnation au sommet.

Festival de Munich 2023. Opéra Boris Godounov. En photo : les basses Vitalij Kowaljow, Alexander Tsymbalyuk, et le ténor Gerhard Siegel © W. Hoesl

Vitalij Kowaljow, Alexander Tsymbalyuk, et Gerhard Siegel dans Boris Godounov.

Guerre et Paix brûlant d’actualité
Opéra Guerre et paix de Serge Prokofiev. 2023. En photo : le baryton Andrey Zhilikhovsky et le ténor Arsen Soghomonyan © W. Hoesl

Andrey Zhilikhovsky et Arsen Soghomonyan dans Guerre et Paix de Serge Prokofiev.

Les résonances avec l’actualité européenne sont encore plus importantes dans la nouvelle production de Guerre et Paix de Prokofiev. Initialement prévue comme une version intégrale, la production de l’Opéra de Bavière a fait l’objet de coupes assez importantes pour gommer les passages les plus nationalistes. Dans un décor unique chargé d’histoire, celui de la Maison des syndicats de Moscou, Dmitri Tcherniakov observe parmi la foule des individus à la recherche très difficile du bonheur en des temps troublés. Un recentrage sur les protagonistes qui a l’avantage de revenir vers l’humanisme consubstantiel au roman de Tolstoï. De la distribution pléthorique d’une prodigieuse excellence se détachent le prince André sensible d’Andrei Zhilikhovsky, la déchirante Natacha d’Olga Kulchynska et plus encore le Pierre Bézoukhov d’Arsen Soghomonyan qui transfigure de manière intensément lyrique son personnage. Dans la fosse, Vladimir Jurowski trouve l’équilibre entre l’intime et le souffle épique sans jamais perdre une fluidité toute cinématographique. Le tout forme l’un des spectacles les plus aboutis de la saison et peut se regarder sur Arte Concert jusqu’au 5 septembre 2023.

Un concert de double commémoration

L’Orchestre d’État de Bavière qui ne chôme pas durant le festival a présenté en outre un concert de double commémoration, celle des 500 ans de sa création sous l’égide de Ludwig Senfl, et celle du centenaire de la naissance d’un de ses directeurs musicaux, Wolfgang Sawallisch. Vladimir Jurowski a concocté un programme tout Richard Strauss mettant d’abord en avant les souffleurs avec la Sonatine n° 1 pour seize instruments à vent, page méconnue de la dernière période du compositeur avec ses glissades harmoniques savoureuses. Un groupe de lieder de jeunesse, les Mädchenblumen op. 22, pèche par une orchestration récente pour petit ensemble dont le vibraphone sonne de façon kitsch. Heureusement, l’art et la fraîcheur de la soprano Marlis Petersen emporte la mise. La soirée bascule dans l’inoubliable avec des Métamorphoses jouées comme les réminiscences d’une vie haute en couleurs. Décidément l’actuel directeur musical est l’homme du festival !

Munich, Opéra d’État de Bavière, du 5 au 8 juillet.