Les riches heures de Meslay

Fondé en 1963 par Sviatoslav Richter, le Festival de la Grange de Meslay perpétue dans ce lieu de mémoire le souvenir du légendaire pianiste. Le premier week-end de la 59e édition témoigne de la fidélité à son esprit par une programmation de qualité sans cesse renouvelée conçue par René Martin, le directeur artistique.

Le jeune Japonais Mao Fujita, vainqueur du Concours Clara Haskil en 2017 et médaille d’argent au Concours Tchaïkovski de Moscou en 2019, visage d’adolescent mais maîtrise instrumentale impressionnante, ne choisit pas la facilité dans un récital mettant en regard Chopin et Liszt. Les doigts mobiles paraissent caresser le clavier, pattes de chat d’une douceur incomparable et emploi modéré de la pédale sans jamais user du staccato. Les Polonaises op. 26, 40, 44 et 53 prennent ainsi un visage plus fluide que de coutume, et la Polonaise-fantaisie op. 61, dans son errance quasi proustienne, une dimension très personnelle. Loin d’une épopée combative, la Sonate en si mineur de Liszt devient une exploration intime où chaque contrechant prend sa juste place. Les immenses moyens du soliste refusent la rhétorique déclamatoire et les contrastes entre le bien et le mal. Parfaite Étude op. 25 n° 1 de Chopin donnée en bis.

Mao Fujita, La Grange de Meslay, 2023
Crédit Photo : Gérard Proust

Nikolaï Lugansky, La Grange de Meslay, 2023
Crédit photo : Gérard Proust

Du piano romantique au cabaret

Changement de décor avec l’« Hommage à Rachmaninov » de Nikolaï Lugansky à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance du compositeur. Le clavier se transforme en orchestre (Sonate n° 2 dans la version d’origine) et les effluves digitales, impressionnantes de densité, emplissent la Grange. La poésie (Six Moments musicaux op. 16), l’intelligence de conception, la clarté de jeu et l’absence de pathos (Treize Préludes op. 32, Six Études-tableaux op. 39) se situent sur les plus hautes cimes de l’interprétation. Avec générosité, deux Romances de Rachmaninov et une Berceuse attendrie de Tchaïkovski répondent à l’enthousiasme du public.

Rendez-vous dimanche après-midi avec les musiciens du Trio Karénine auxquels s’adjoignent le clarinettiste Raphaël Sévère, le flûtiste Matteo Cesari et la soprano Raquel Camarinha sous la direction empathique et précise de Yoan Héreau. Après le Pierrot lunaire de Schoenberg en mode cabaret – comme à la création en 1884 –, transcendé par la voix très sûre d’intonation de la chanteuse, succède un bouquet suggestif et incarné d’extraits signés Weill et Brecht (Opéra de Quat’sous, comédie Happy End, Marie Galante) ; en guise de remerciement, un fado d’Amália Rodrigues tire des larmes.

Convivialité et complicité

Musiciens accomplis et complices, le violoniste Vadim Repin et le pianiste Andreï Korobeïnikov jouent la Sonate de Debussy en demi-teinte, puis la Sonate n° 3 de Grieg avec engagement bien que le pianiste se taille la part du lion. Dans la Sonate de Franck en totale symbiose, tous deux retrouvent le chemin de l’expressivité sans emphase. La transcription de l’Aria de Lensky extraite de l’opéra Eugène Onéguine de Tchaïkovski et la coquette Estrellita sans prétention de Manuel Ponce/Jascha Heifetz concluent avec bonheur ces instants de pure convivialité.

Festival La Grange de Meslay, 9, 10 et 11 juin 2023

Pour en savoir plus :

Vadim Repin et Andreï Korobeïnikov, La Grange de Meslay, 2023
Crédit photo : Gérard-Proust