Dans Falstaff à Salzbourg, Christoph Marthaler exaspère mais la soirée eut été superbe, en concert.

Falstaff, Salzbourg 2023 © SF/Ruth Walz
On sait Christoph Marthaler capable du meilleur (Kat’a Kabanova ici, Wozzeck à Paris), et du pire (Tristan à Bayreuth, et tant d’autres pièces). Réinvité à Salzbourg après douze ans d’absence, il a commencé les répétitions en expliquant que Shakespeare n’avait pas créé avec ses Commères de pièce majeure, et que l’avatar signé Verdi et Boïto n’était ni amusant, ni réussi… Il y est donc allé jusqu’au bout de son propos, déstructurant de la mécanique délicate et enjouée du compositeur et de son librettiste, en se référant à Orson Welles, et aux trois films qu’il consacra au personnage.
Résultat exaspérant, à l’image d’un plateau de cinéma central marronnasse, dans le plus pur style d’Anna Viebrock, inséré entre une salle de visionnage bleue à jardin et une Desert-House jaune flanquée d’une piscine bleu clair et d’un empilement de rochers, à cour, pour cligner de l’œil du côté d’Hollywood. Espace multi-déstructuré donc, qui servira de creuset éparpillé et mouvant pour ces gags répétitifs dont raffole le metteur en scène (comme la panière, qui servira longuement à l’un deux, mais surtout pas à jeter Sir John à l’eau, bien entendu) et à une direction d’acteurs au millimètre qui n’aura pour but que le dénigrement, et le fragment, qui ne narre ni l’histoire du Pancione, ni celle d’un tournage hollywoodien, malgré quelques références au cinéma-muet comique ! C’est désespérant d’ennui, et cela va contre l’œuvre. Pire, cela la dessert sur le strict plan musical, car ce décor laissant le volume de la cage de scène ouvert en haut et à l’arrière, s’avère ruineux pour la projection vocale, comme pour l’ambitus de la fosse.

Falstaff, Salzbourg 2023 © SF/Ruth Walz
L’immense professionnalisme des chanteurs
On salue alors l’immense professionnalisme des chanteurs, qui se prêtent au jeu de la para-existence, et tentent de ne pas forcer leur voix. Ils sont excellents, tous, des vilains Cajus (Thomas Ebensteuin), Bardolfo (Michael Colvin), Pistola (Jens Larsen), aux premiers plans, Nanetta délicieuse (Giulia Semenzato), Meg évanescente (Cecilia Molinari), Tanija Ariane Baumgartner (Quickly trop sérieuse et pas assez noire) et Alice (la parfaite Elena Stickina, au timbre frais ravissant). Bogdan Volkov fait oublier la niaiserie de son Fenton en le susurrant divinement, Simon Keenlyside fait de même avec son personnage de Woody Allen agité et colérique pour camper un Ford vocal toujours majuscule, et Gerald Finley distille avec un tact sublime un chant d’une subtilité et d’un raffinement de chaque instant, ce qui permet, en fermant les yeux, de croire à la vérité de son Falstaff.
Quant au Philharmonique de Vienne, et aux chœurs de son opéra, Ingo Metzmacher, dans un répertoire où on ne l’attend pas, en exalte toutes les immenses qualités. Que cela eut été une superbe soirée, en concert !
Salzbourg, Grosses Festspielhaus, le 23 août