Le Centre national du costume de scène présente, jusqu’au 7 novembre 2021, le travail au réalisme enchanté du grand scénographe d’origine grecque dans une mise en espace remarquable.
Inscrit au disque et fixé à l’image, le souvenir des productions emblématiques composerait aujourd’hui une mémoire parcellaire des grands moments d’opéra s’il n’était pas complété à Moulins par l’entreprise démesurée d’une institution unique en France et peu concurrencée à l’étranger : le Centre national du costume de scène. Alors qu’ils étaient promis à la démolition, les murs de l’ancienne caserne locale ont été sauvés in extremis en 1984, avec le classement aux monuments historiques du grand escalier central. Le bâtiment édifié à la fin du xviiie siècle abrite depuis quinze ans une dizaine de milliers de costumes avec près de 25000 pièces sur ses quelque 8000 mètres carrés d’espace, dont 3500 sont réservés aux visiteurs.
Le Centre national du costume de scène a établi ses collections avec l’appui de trois institutions fondatrices, la Bibliothèque nationale de France, qui conserve une mission homologue sur les décors et maquettes, la Comédie Française, et l’Opéra de Paris. Des dons en provenance d’horizons variés augmentent régulièrement un fonds déjà pléthorique, présenté depuis 2006 au fil d’expositions temporaires.
Un artiste prolifique

Crédit photo : Teatro Alla Scala
Au-dessus de la collection Noureev aménagée au rez-de-chaussée, l’exposition en place rend hommage au scénographe et metteur en scène d’origine grecque Yannis Kokkos. Imaginé par l’un de ses anciens assistants, Nicolas Sire, le parcours se penche sur les cinquante-cinq années de carrière d’un artiste extrêmement prolifique pour le théâtre et l’opéra, avec plus de deux cents collaborations internationales. Les « Scènes de Yannis Kokkos » s’articulent autour d’une centaine de costumes puisés dans les fonds du Centre national du costume de scène et empruntés à la Comédie Française, à l’Opéra de Paris, au Théâtre du Capitole de Toulouse, ou encore à la Scala de Milan, au Teatro Real de Madrid…
Dessins, maquettes, extraits audiovisuels et photographies affinent le portrait de l’homme de théâtre établi en France dès 1963. La documentation très complète dévoile une conception artistique totale dans l’esprit de Yannis Kokkos, depuis le croquis à l’aquarelle jusqu’à la mise en scène qu’il assure à l’opéra pour la première fois en 1989 avec Boris Godounov à Bologne, repris deux ans plus tard à l’Opéra Bastille. Dans la deuxième salle, les esquisses des dignitaires chinois de Turandot prennent vie grâce aux mannequins; on apprécie la réflexion sur la modernité du costume taillé en queue-de-pie dont le tissu et les motifs font appel à l’imagerie orientale (production de 2013 pour l’Opéra national de Lorraine).
Les treize salles d’exposition installent une progression de la nuit vers le jour et présentent le développement artistique du scénographe, marqué par des collaborations fortes. Antoine Vitez est une des rencontres majeures de l’artiste. À l’opéra, ce compagnonnage est à l’origine du Macbeth donné en 1984 à l’Opéra Garnier, puis repris en 1987. On découvre notamment l’étoffe dorée du manteau de lady Macbeth, expression directe de sa position terrible dans une salle dédiée à la nuit.
Le fil de la vie
Fidèle à sa mission développée autour des costumes, le Centre national montre l’objet dans toute sa subtilité, sans porter l’accent sur l’individu et l’incarnation. Supports destinés à mettre en valeur la matière, les mannequins dénués d’expression se présentent de plain-pied pour donner vie à des scènes qui rythment la scénographie. On retrouve les trois Nornes du Crépuscule des dieux tenant le fil de la vie entre leurs mains – celles-là mêmes que l’on admirait sur la scène de la Scala en 1998. L’observateur peut examiner sous toutes ses coutures le travail fantastique opéré sur le tissu : un velours dévoré par l’acide. Également mis en scène, le berger de Tristan devient souffleur dans une vitrine où Partage de midi (Claudel) et La Vie de Galilée (Brecht) se divisent l’espace.
L’opposition entre le costume au théâtre et à l’opéra est magnifiquement illustrée dans une vitrine qui confronte les versions d’une même
dramaturgie : celle d’Iphigénie en Aulide. Sur la musique de Gluck à la Scala en 2002, Clytemnestre occupe un habit opulent marqué par un travail sur les reflets du tissu qui se déploie très largement, tandis que les scènes plus étroites du théâtre se prêtent davantage au dénuement, au travail des détails et à la simplicité des étoffes.
Au cœur du décor
Le parti pris thématique et non rétrospectif de l’exposition met en valeur les éléments caractéristiques de l’univers de Yannis Kokkos :
les décors très sobres et la présence de colonnes (en référence à sa culture grecque), le goût pour les estrades et les escaliers, le jeu autour de l’enfance et de l’imagination figurée par les costumes d’Hansel et Gretel de Humperdinck, où l’échelle symbolise l’ouverture chère au scénographe, le blanc associé au deuil, et la mer qui trouve une place de choix dans la dernière salle.
Impressionnante immersion au cœur d’un décor reconstitué de toutes pièces, celle-ci convoque en apothéose Le Vaisseau fantôme proposé à l’Opéra d’Athènes en 2013, Les Troyens, avec la projection d’un cheval qui arrive sur scène (rappel de la production du Théâtre du Châtelet en 2003, sous la baguette de John Eliot Gardiner), ou encore Pelléas et Mélisande que Yannis Kokkos mettait en scène en 2000 au Grand Théâtre de Bordeaux.
Ces dernières surprises viennent clore un circuit fascinant qui donne immense satisfaction aux approches les plus diverses : du regard porté vers la conception et la technique jusqu’à la plongée au cœur d’un univers atypique déployé dans nombre de productions marquantes.