L’opéra de Tchaïkovski est fort bien servi, et par deux fois. À Liège comme à Paris, les distributions touchent au plus juste.

Les hasards de la programmation nous ont offert deux Onéguine aux visions complémentaires et d’un excellent niveau musical. À Liège, au Théâtre royal de Wallonie (photo, 22/10), Éric Vigié a choisi de conter l’histoire de la Russie de Tchekhov à Staline par des images fortes et un propos pertinent. À Paris, au Théâtre des Champs-Élysées (13/11), Stéphane Braun-schweig a opté pour une direction d’acteurs millimétrée, fouillant jusqu’à l’os la psychologie complexe de personnages hantés par les tortures de Tchaïkovski. On a retrouvé la marque du directeur de l’Odéon, les chaises, le dépouillement, l’élégance des costumes, la précision de gestes qu’accompagnait, avec une rigueur parfois trop léchée, la cheffe Karina Canellakis. La passion dominait davantage la direction de Speranza Scappucci qui, disposant à Liège d’un orchestre aux pupitres moins aguerris, fit suinter larmes et sang des cordes et des cuivres. La distribution wallonne était homogène, dominée par l’enflammée Tatiana de Ruzan Mantashyan et l’imposant Grémine d’Ildar Abdrazakov.  Dans le même rôle, Jean Teitgen, avenue Montaigne, donna à voir un personnage plus discret. Jean-François Borras bouleversa en Lenski et l’Onéguine de Jean-Sébastien Bou, sorte de Don Juan mâtiné de Dostoïevski, fut passionnant. On a retrouvé avec bonheur l’élégance mélancolique de Mireille Delunsch en Madame Larina. La Tatiana de Gelena Gaskarova, remplaçant Vannina Santoni, était racée. En Monsieur Triquet, Marcel Beekman, qui fut un Platée d’anthologie il y a quelques années à l’Opéra Comique, laissa s’exprimer son comique habile tandis qu’à Liège, Thomas Morris, remplaçant Guy de Mey, amusait la galerie avec ses couplets à la française. L’Olga de Maria Barakova y fut remarquable ainsi que la Filippievna de Margarita Nekrasova. Un grand merci à Liège et à Paris de nous avoir offert des retrouvailles si épatantes avec une œuvre dont la sincérité ne cesse de toucher, tant elle est loin de l’opéra – divertissement social où prime souvent la seule performance athlétique.

Eugène Onéguine
Opéra en en 3 actes et 7 tableaux
Production du Théâtre royal de Wallonie
22 octobre 2021
© J. Berger / Opéra Rayoal de Wallonie