Pour son centenaire en 2020, le Festival de Salzbourg révélait, dans un décor minimaliste, un Così fan tutte resserré et captivant, porté par de jeunes interprètes fougueux. Un cadeau à redécouvrir sur écran.

Un Così réduit de trois quarts d’heure pour passer à un seul acte de 2 h 20 sans entracte, à cause des restrictions sanitaires dues au Covid ? On aurait pu gronder : ne perd-on pas six des 31 numéros, avec Despina et son « In uomini », Ferrando et ses « La mano a me date » et « Ah, lo veggio », et Guglielmo et son « Tradito, schernito » ? On l’a pourtant vécu sur place comme une fête de retrouvailles, qui passe à l’écran comme rarement. Car, en plus de la réponse du Festival de Salzbourg, célébrant son centenaire malgré la pandémie, cette version propose un accès resserré, densifié, neuf en fait, à une œuvre qui s’y prête sans souffrance. Et captive.
Au Grosses Festspielhaus, pourtant inadapté à l’intimité de l’œuvre, le décor, réduit à un simple mur blanc de face, doté de deux hautes doubles portes à panneaux, et au début de l’acte II d’une fente s’ouvrant sur une forêt nocturne, est fort proche de la fosse : le renvoi du son n’avait jamais si bien servi la clarté du chant. La lumière, en gammes de blancs et de gris, dit l’atmosphère, et c’est bien assez. Car le jeu d’acteurs, surexposé devant ce mur, presque exagéré, osait le survolté, la virevolte, l’énergie, et même le précipité dans les récitatifs, de la jeunesse, et la fraîcheur, surtout, du propos d’un Mozart vérité, que sa réduction n’empêchait pas de battre du cœur à cent à l’heure.

HANEKE EN ÉCHO
Le noir et blanc, qui s’imposait en stéréotype aux costumes, robes, chemises d’aujourd’hui – la couleur sera réservée aux seuls deux touristes albanais –, semblait ajouter au jeu des corps et des visages une tension qui n’est pas si éloignée de celle, si cruelle, de Haneke. Mais Christof Loy ne joue ni la relecture ni le double sens – que cela fait du bien, en ces temps d’excès de mise en scène ! –, mais le réalisme d’une expérience ouvrant chacun à la désillusion des sentiments, certes, mais aussi à l’acquis de leur vérité. La fin dit combien l’expérience aura marqué : bienvenue dans la vraie vie.
La caméra montre ici le détail, la jeunesse une fois encore – c’est le sentiment qui domine avec les 27 à 37 ans des cinq jeunes fous – face au regard désabusé d’un Alfonso qui en sait si long – Johannes Martin Kränzle, 58 ans, vertigineux d’expression. Qu’ils passent bien, qu’ils ressemblent à notre jeunesse, Marianne Crebassa la voluptueuse emportée, Elsa Dreisig la rêveuse souriante, Bogdan Volkov presque encore adolescent, Andrè Schuen si sûr de lui, et la si gamine Lea Desandre, irrésistible, comme au-dessus de la mêlée des ressentis. C’est que, en matière de direction d’acteurs, l’osmose si naturelle qu’a su créer Loy entre les chanteurs et les personnages bien typés nous change de trop de Così compassés de jeu, sinon de chant. Mais ce Così est aussi et surtout musical, à la perfection, Dreisig seule montrant qu’elle se bat encore avec Fiordiligi, et gagne, en maîtrise comme en émotion (magnifique « Per piéta »), là où les autres s’imposent quasi sans effort, mais pas sans investissement.
Et la baguette de Joana Mallwitz, idéale de légèreté, de structuration du discours, de réponses de la fosse où Vienne, lumineux, poétique, est aussi à son plus enjoué, n’est pas pour rien dans une osmose qui fait jubiler. Fait majeur, et signe des temps, la cheffe est aussi la première baguette féminine dans la fosse en cent ans de festival. Cela vaut bien de se pencher sur ce somptueux cadeau d’anniversaire. Il ravit !

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Così fan tutte
Elsa Dreisig (Fiordiligi),
Marianne Crebassa (Dorabella),
Bogdan Volkov (Ferrando),
Andrè Schuen (Guglielmo), Lea
Desandre (Despina), Johannes
Martin Kränzle (Alfonso),
Choeurs de l’Opéra de Vienne,
Orchestre philharmonique
de Vienne, dir. Joana Mallwitz,
mise en scène Christof Loy
Erato 0190295050320 (DVD).
2020. 2 h 20