Lawrence Brownlee et Michael Spyres s’affrontent dans un combat de virtuoses exaltant les qualités de chacun. Les deux champions rivalisent d’expressivité et triomphent de nos cœurs.

Gioachino Rossini (1792-1868)
« Amici e Rivali »
Extraits de Il barbiere di Siviglia, Ricciardo e Zoraide, La donna del lago, Elisabetta, regina d’Inghilterra, Otello, Le Siège de Corinthe et Armida
Lawrence Brownlee et Michael
Spyres (ténors), Tara Erraught (mezzo-soprano), Xabier Anduaga (ténor), I Virtuosi Italiani, dir. Corrado Rovaris
Erato 190295269470. 2019. 1 h 19

Jubilatoire ! Nouvelle preuve éloquente que, depuis Rockwell Blake et Chris Merritt, les États-Unis sont une terre d’élection pour les ténors rossiniens, cet éblouissant récital réunit Lawrence Brownlee et Michael Spyres dans un programme en tout point exceptionnel. Dans une forme sidérante, les deux chanteurs livrent le fruit longuement mûri d’une fréquentation assidue d’un répertoire qu’ils interprètent depuis de nombreuses années sur les scènes les plus prestigieuses, et notamment celle du Festival Rossini de Pesaro.

Construit autour des années napolitaines du compositeur (1815-1820), le disque présente essentiellement le versant sérieux de Rossini, mais débute avec… le duo Figaro et Almaviva du Barbier de Séville. En se coulant avec bonheur dans le rôle-titre, Spyres nous rappelle qu’il fut d’abord baryton avant de trouver sa voix. Hilarant et plein d’esprit, son barbier met en valeur un registre grave extrêmement nourri qui offre un beau contraste avec le Comte racé à la voix claire et agile de Brownlee. Les timbres se marient merveilleusement et l’entente entre les deux artistes est parfaite, impression que confirme la suite du récital.

Un festin vocal

Après cette mise en appétit, le festin fait la part belle à cinq ouvrages créés par le fameux Andrea Nozzari, baryténor d’une grande vaillance dont Spyres a l’exact format vocal. C’est d’ailleurs son interprétation à Wildbad en 2008 du rôle le plus emblématique de Nozzari, Otello, qui a propulsé Spyres au sommet de sa carrière. Partenaire fréquent de Nozzari à Naples, Giovanni David participa à la création de trois des opéras retenus pour l’album (Ricciardo e Zoraide, La donna del lago et Otello). Très apprécié de Stendhal, il possédait, outre une souplesse et une virtuosité sensationnelles, une facilité extrême dans le suraigu, toutes ces qualités que Lawrence Brownlee a abondamment reçues en partage.

Deux cents ans après leurs illustres modèles, Spyres et Brownlee font revivre un âge d’or du chant en se lançant avec une délectation palpable dans ces pages où l’amitié et la rivalité s’expriment dans des phrases ardentes d’une virtuosité follement excitante. Les deux ténors se galvanisent l’un l’autre en une belle émulation qui les fait atteindre des sommets d’expressivité, comme dans La donna del lago, où l’insolence des aigus laisse pantois, ou Otello, d’une intensité dramatique peu commune. Non contents de marcher sur les traces des meilleurs chanteurs du premier Ottocento, Spyres et Brownlee se mesurent également avec maestria au souvenir de Louis Nourrit et de son fils Adolphe en abordant un extrait substantiel du troisième acte du Siège de Corinthe (1826). À un français très acceptable, ils joignent un admirable souci de la ligne musicale.

Plusieurs pages réclamant plus de deux solistes, on a fait appel à des chanteurs de très haut niveau qui ajoutent au plaisir de l’enregistrement. Jeune ténor espagnol révélé dans Le Siège de Corinthe à Pesaro en 2017, Xabier Anduaga est appelé à un brillant avenir. Son Ernesto (Ricciardo e Zoraide), son Carlo (Armida) et surtout son Iago, retors à souhait, font entendre un vrai tempérament scénique et une voix ductile d’une magnifique couleur lumineuse. Quant à la mezzo irlandaise Tara Erraught, elle campe Elena (La donna del lago), Desdemona et Pamyra (Le Siège de Corinthe) avec une sensibilité exacerbée. À la tête des Virtuosi Italiani, Corrado Rovaris insuffle passion, énergie et fougue à ces partitions servies avec beaucoup de panache.