Un Don Giovanni à l’Opéra Bastille, vieux de 15 ans, venu remplacer la production parisienne de 2019, ratée, d’Ivo van Hove ? De fait, celle de Claus Guth avait secoué Salzbourg en 2008, avec son concept de Regietheater, du bon, qui ne se démode pas aussitôt vu.

Don Giovanni Bastille 2023 © Bernd Uhlig /Onp

Crédit photo : Bernd Uhlig /OnP

Car le parti est tout sauf indéfendable : Don Giovanni, blessé à mort au duel par le commandeur, va vivre ses dernières heures, en jouisseur invétéré, jouant du déni jusqu’à la nécessaire acceptation –sans enfers, sans morale finale, sextuor coupé, version de Prague. Pas une chute, mais la vie, au sens moderne, désacralisé – façon Mozart lui-même. Un parcours qui entraîne son héros Into the Woods, non pour croiser le vieux conte qu’il est, mais la présence régulatrice, impérieuse et nocturne de la Nature : troncs immenses glissant sur un sol rocheux, forêt germanique – comme pour un Ring – enneigée au final, romantique en diable, qui remet à sa vraie – petite – échelle l’agitation humaine, même si un tronc cassé confirme aussi à l’acte II que chacun doit mourir. C’est intemporel, classique (cela suit pas à pas Da Ponte) et moderne (costumes, comportements d’aujourd’hui, avec clins d’œil : abribus de tôle, BMW en panne…) et c’est beau. Seul défaut, cela n’aide pas la projection du chant. L’intense direction d‘acteurs, contraints eux par le sol et la tournette à plus de naturel physique, fait le reste. Et c’est captivant.

Peter Mattei, un grand chanteur !

Dommage, Antonello Manacorda, qui dirige rapide, énergique, attentif à tous, ne parvient pas à exciter la partition qui reste sujette au spectacle plus que moteur de son action. C’est le chant et ses personnalités qui se doivent alors d’apporter l’éblouissement, et c’est le cas avec le magistral Don Giovanni de Peter Mattei, qu’il magnifie depuis 30 ans ; certes, il raccourcit le son, la phrase parfois, bouscule le champagne, mais sa lumière est là, et offre un sérénade d’anthologie, d’une grâce absolue. Un grand chanteur ! Stature longiligne, questionnement sensible face à l’inéluctable, il vous happe par sa vitalité, son vertige, audible dans les nuances qu’il apporte à ce personnage noir, que #MeToo réprouve forcément, mais qui captive toujours : un humain, terriblement vrai !

Le reste de la distribution déséquilibrée

Face à ce géant, seul résiste en verve, en sonorité, le Leporello d’Alex Esposito, funambulesque, même si le grave manque de sonorité. Le Commandeur de John Relyea en déborde, lui, et impressionne en fossoyeur impérieux. Ben Bliss offre un Ottavio onctueux malgré un timbre sans vraie séduction mozartienne, et Guilhem Worms est un Mazetto séduisant, un rien trop rigide encore. Mais ce sont surtout les dames qui déçoivent. Adela Zaharia est une belle Anna, trop monochrome, qui gagne enfin ses galons à l’acte II. Gaëlle Arquez a tout pour Elvire, le dramatisme, la beauté du timbre, hors des aigus arrachés, trop incertains parfois. Et Ying Fang, timbre délicieux, manque d’expression et de grave.

Souhaitons que la production ne fasse pas que passer, et puisse trouver une  distribution plus équilibrée, autour d’un Mattei toujours bienvenu.

Pour plus d’informations

Paris, Opéra Bastille,

Le 13 septembre.

www.operadeparis.fr