Alban Gerhardt, qui a déjà enregistré la Sonate op. 40 de Chostakovitch (Hyperion, 2005), offre une interprétation des Concertos pour violoncelle d’une tout autre portée. L’Allegretto du Concerto n°1 entraîne comme une cavalcade où le violoncelle et le cor rivalisent d’impertinence, alors que le mouvement lent refuse le pathos si souvent recherché. Jukka-Pekka Saraste instaure à ses côtés un climat où la lourdeur est absente mais dont l’étrangeté prégnante conduit naturellement à une cadenza fervente. Et la transition avec le dernier mouvement se fait sans rupture, comme si le soliste était très progressivement rattrapé par une collectivité infernale, sans que l’on sache qui triomphe réellement. Beaucoup moins spectaculaire, le Concerto n°2 appelle pour tant un orchestre plus étoffé, dont le compositeur joue avec une économie qui force l’admiration. Là encore, Gerhardt évite de charger le Largo initial et privilégie la continuité de ces pages qui peuvent souffrir d’une lecture séquentielle. Saraste l’aide avec précision, sans atteindre la même hauteur poétique. Le Scherzo trahit un rien de raideur et pourrait appeler plus d’imagination des solistes. En revanche, la fanfare des cors précédant le Finale en impose franchement, et les réminiscences et archaïsmes multiples qui suivent sont joués de manière qu’aucun élément ne l’emporte sur les autres. Toute l’ambivalence de l’une des pages les plus énigmatiques de Chostakovitch est ici magnifiquement réalisée.
Parmi les œuvres composées par ce dernier pour le violoncelle, la première, écrite en 1934, se singularise du reste du corpus par son lyrisme lumineux et surtout par son classicisme. L’interprétation de la Sonate op. 40 par les sœurs Hack bat en brèche cette exception dès l’entrée en matière avec des phrasés plus expressifs que de coutume et des couleurs franchement saturées, comme pour mettre davantage l’accent sur les racines folkloriques de cette musique. Le compositeur, qui accompagna beaucoup de violoncellistes dans cette pièce, s’accommodait de personnalités aussi différentes que Rostropovitch ou Shafran, mais la Sonate conservait toujours un équilibre et un allant qu’on ne retrouve pas ici. Les interprètes succombent trop souvent à une lenteur excessive qui accentue inutilement certaines pages comme le Largo. L’Allegro final souffre aussi d’une conception univoque, l’ironie devenant sarcasme. Assez logiquement, la même approche convient bien mieux à la Sonate op.147. Cette transcription fidèle pour alto et piano effectuée par Daniil Shafran appartient à la veine crépusculaire du compositeur. La lenteur des premier et dernier mouvements surprennent, mais pas au point de menacer l’équilibre des proportions. Cette méditation se développe sans rien de forcé, avec une belle cohérence. Autre transcription, le très court Prélude joué avec le concours de Gautier Capuçon apporte une conclusion nostalgique à cet album engagé.
Réédition d’un double CD du label Talent paru en 2009, les interprétations de la violoncelliste Viviane Spanoghe semblent, en comparaison, moins virtuoses et plus classiques. La Sonate op. 40 retrouve son élégance avec un respect scrupuleux des indications dynamiques, mais son partenaire de toujours, le pianiste André DeGroote, lui laisse trop souvent la préséance. Le deuxième mouvement et le début du quatrième l’obligent à passer au premier plan; pour autant, le syncrétisme de ces pages fondamentalement ambiguës n’est pas atteint. Épure, beauté et sincérité des accents marquent la Sonate op.147, décidément plus facile à réussir. L’album propose aussi les deux Concertos pour violoncelle. Face à un orchestre chauffé à blanc sans grande subtilité, Viviane Spanoghe ne peut atteindre la virtuosité ni l’aplomb du dédicataire, Mstislav Rostropovitch. Si la prise de son donne une magnifique présence à la soliste dans la cadenza envoûtante du premier Concerto, le rapport avec l’orchestre ressemble ailleurs à un combat inégal qui contraint l’artiste à des renoncements.

Concertos pour violoncelle nos 1 et 2
Alban Gerhardt (violoncelle),
Orchestre symphonique de la WDR,
dir. Jukka-Pekka Saraste
Hyperion CDA68340. 2018. 57’

Sonates pour violoncelle op. 40
et op. 147. Prélude op. 97
Anouchka Hack,
Gautier Capuçon (violoncelle),
Katharina Hack (piano)
Genuin GEN 2701. 2019. 1h04

Sonates pour violoncelle op. 40
et op. 147. Concertos pour
violoncelle nos 1 et 2
Viviane Spanoghe (violoncelle),
André De Groote (piano),
Orchestre symphonique
des solistes de Sofia,
dir. Emil Tabakov
Etcetera KTC 1686 (2CD). 1981-2008. 1h51