David Grimal visite Bach pour la troisième fois. Ce nouvel enregistrement des Sonates et Partitas fut une rude ascension vers les plus hauts sommets.

David Grimal © Lyodoh Kaneko

David Grimal
Crédit photo : Lyodoh Kaneko

Qu’est-ce qui a motivé ce troisième enregistrement des Sonates et Partitas ?

Une évolution personnelle et le second confinement. Mon premier enregistrement était la captation de concert d’un jeune violoniste (Transart Live, 1999). Et le deuxième (Naïve, 2008), réalisé à un moment difficile de ma vie, est pour moi au milieu du gué. Depuis, j’ai beaucoup enseigné, avancé, changé. Il était temps de faire le point. Le rendez-vous avec Bach est toujours un moment de recentrage.

Avez-vous changé d’instrument ?

Non, c’est toujours le même Stradivarius « Ex-Roederer » de 1710 mais il est monté avec des cordes en boyau. Et j’ai utilisé un archet baroque de Nicolas Pierre Tourte des années 1740. Les cordes en boyau offrent plus de grain et d’humanité dans le son. L’archet autorise par ailleurs plus de souplesse dans les danses et dans les prises d’accord. L’enregistrement a été réalisé dans la salle du réfectoire des moines de l’abbaye de Royaumont dans de très bonnes conditions. Mais je dois reconnaître que cette nouvelle ascension de l’Himalaya du violon s’est révélée plus ardue que prévu.

C’est-à-dire ?

Après l’insouciance de la jeunesse, puis un autre voyage, on se demande pourquoi on se lance un nouveau défi. J’ai peut-être trop joué cette musique et cherché à en synthétiser tous les éléments. Or, plus on avance, plus on a l’impression que la ligne d’horizon s’éloigne. Les Sonates et Partitas proposent des fugues de dimensions gigantesques. On atteint la musique des sphères et c’est très impressionnant. Presque traumatisant. Cette musique révèle ce que l’on est, elle met à jour ce qu’on a dans la tête, dans le ventre, dans le cœur.

Vous avez utilisé des cordes en boyau et un archet ancien mais un diapason moderne. Est-ce la volonté de réunir deux mondes ?

En quelque sorte. Ma démarche se rapproche ainsi de celle d’Isabelle Faust même si nos approches sont différentes. Il est vrai que je suis issu de la culture du violon moderne mais je ne suis pas sourd aux propositions des découvertes musicologiques. Même si parfois elles peuvent se montrer stériles en imposant un mode de jeu standardisé basé sur une interprétation littérale des traités. Le même danger menace le violon « moderne », prisonnier de sa « modernité ». J’ai cherché à trouver les lignes de forces dans les écoles moderne et baroque et, surtout, oublier les dogmes qui assèchent la musique. Je n’avais pas la liberté technique du violon moderne mais j’appréciais l’évidence de certains gestes.

Avez-vous écouté plusieurs interprétations pour préparer votre enregistrement ?

Je n’écoute jamais rien. J’ai écouté beaucoup d’enregistrements quand j’étais jeune mais plus aujourd’hui ou par hasard, à la radio. J’ai tout enregistré en une seule fois, en une semaine. J’en suis sorti fatigué mais le pire était à venir : le montage. Je n’aime pas ça car je cherche la grande ligne. J’ai une conception très organique de la musique, dans sa structure et ses points de tension. Devoir découper et assembler pour trouver une proposition qui semble idéale est alors un vrai cauchemar. La propreté imposée par le disque se fait parfois au détriment de l’unité.

Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans cette musique ?

La maîtrise de la forme, l’équilibre entre la mélodie et l’harmonie mais aussi l’humanité de Bach. Il nous dit : « C’est dur mais ça va aller. » C’est le compagnon de toute une vie de violoniste.

Paraît simultanément un disque réalisé avec le pianiste Itamar Golan…

C’est le fruit d’une merveilleuse rencontre humaine et musicale. Il réunit trois œuvres composées dans les années 1930-1940. La Sonate de Poulenc et la Sonate n° 1 de Prokofiev se répondent par la violence et la tension. Le Divertimento de Stravinsky, une pure merveille, est beaucoup plus lumineux. C’est un programme emblématique dans le contexte actuel et qui remet en perspective les rapports culturels étroits qui ont toujours existé entre la Russie et la France dans l’espoir que le chapitre sinistre que nous vivons actuellement s’achèvera le plus rapidement possible.

Johann Sebastian Bach : Sonates et Partitas pour violon seul— David Grimal (violon) — La Dolce Volta DV 88.89 (2 CD)

Poulenc : Sonate pour violon et piano. Stravinsky : Divertimento pour violon et piano. Prokofiev : Sonate pour violon et piano n° 1 — David Grimal (violon), Itamar Golan (piano) — La Dolce Volta LDV 117