Le Vail Dance Festival a montré des images d’hier, des visages démasqués, des corps enlacés, ceux d’avant le Covid. Sublime.
Qu’est-ce que la beauté ? À cette question largement débattue depuis Platon, tout amoureux de la danse répondrait simplement : c’est le mouvement, un geste indéfinissable qui soudain nous émeut, un moment de grâce fugitive, une forme de simplicité peut-être qui réveille en nous quelque chose d’intemporel et d’essentiel…
Une proclamation de liberté
À l’heure des visages masqués et des corps crispés, on réalise combien le mouvement est plus que jamais un appel d’air, une proclamation de liberté, et, oui, une quête de beauté. Cela sonnait comme une évidence lors du Vail Dance Festival dans le Colorado, l’une des plus célèbres manifestations de danse au monde, qui se déroule chaque année dans un joli théâtre à ciel ouvert niché au creux des Rocky Mountains.

Isabella Boylston et Calvin Royal III
Crédit photo : Christopher Duggan
Lancé en 1989 par la First Lady Betty Ford, ancienne danseuse, et inauguré par l’école de danse du Bolchoï comme symbole de la fin de la guerre froide, l’événement accueille chaque année des étoiles et des compagnies de tous les pays. Mais quel étrange cru que celui de 2020 !
La magie est là.
Plutôt que de capituler devant l’épidémie, les organisateurs avaient conçu une version digitale de leur festival, avec un spectacle différent chaque soir, composé de ballets repris des années précédentes et diffusé (gratuitement) sur Internet. Pourtant, en dépit de cette distanciation artistique, la magie était bien là. Lors de la soirée d’ouverture, on la découvrait d’abord avec quelques bons vieux chefs-d’œuvre néo-classiques américains tels A Suite of Dances de Jerome Robbins (1994) où le danseur (Herman Cornejo) se laisse traverser par les notes de Bach, égrenées par une violoncelliste sur scène (Anne Richardson), comme si elles lui communiquaient un souffle vital…
Ou encore Élégie, le solo jumeau de George Balanchine sur la partition d’Igor Stravinsky, dans lequel Carla Körbes, longs cheveux blonds déployés comme une parure, s’éveille à la vie dans un halo de lumière, sublimant le corps féminin comme une algue lascive. Beaucoup de grâce aussi dans les créations, pour la plupart écrites dans le vocabulaire classique : ainsi Thousandth Orange, ballet de Tiler Peck réunissant des solistes du New York City Ballet et de l’American Ballet sur une musique de Caroline Shaw, écheveau de tours, pirouettes, portés sur pointes, composent une séduisante harmonie de figures organiques (à la manière de la chorégraphe Crystal Pite que les Français ont tant appréciée à Garnier).
Et difficile de ne pas être ému aux larmes en contemplant The Bitter Earth (2012) de Christopher Wheeldon (sur la chanson de Dinah Washington recomposée par Max Richter), un pas de deux poignant tout en fluidité et en sentiments suggérés, interprété avec douceur et poésie par Isabella Boylston et Calvin Royal III de l’American Ballet. Certes, il manquait la présence humaine, la fébrilité du théâtre, le bourdonnement du public, et ce petit quelque chose qui donne au spectateur d’un soir le sentiment d’être en communion avec les interprètes, mais malgré cela, il y avait le mouvement salvateur. Il y avait la danse. Il y avait la beauté.