Le New York City Ballet revient à la vie sous l’œil caressant de la caméra de Sofia Coppola dont le geste initie un délicat pas de deux avec les danseurs.

Un retour à la vie… Sac à l’épaule, le danseur (Gonzalo Garcia) avance dans le couloir, s’arrête sur le seuil du studio, parcourt l’espace devant lui d’un regard ému, étonné de retrouver ce monde presque oublié, son monde à lui : la barre, le miroir, le tapis… Il hésite encore à entrer comme s’il avait du mal à y croire, fait quelques pas…

Et alors, doucement, Chopin… Les notes d’une mazurka l’animent, lui insufflent les premiers mouvements de Dances at the Gathering (chorégraphie de Jerome Robbins) et le plongent dans la danse comme dans un bain de jouvence. Sobre et splendide, c’est la scène d’ouverture du film tourné par Sofia Coppola au David Koch Theatre du Lincoln Center et présenté depuis ce même lieu en guise de gala virtuel du New York City Ballet avant sa vraie rentrée à l’automne.

Qui mieux que la cinéaste de Lost in Translation pouvait célébrer ces retrouvailles et traduire la mélancolie de l’exil qui a frappé le petit peuple de la danse, cloué au sol, éloigné de sa maison pendant trop longtemps ? Au fil d’une promenade au cœur du théâtre allant de l’ombre à la lumière, la caméra de Sofia Coppola, cachée dans les recoins, saisit, étape par étape, cette délicate résurrection.

Crédit photo : Philippe Le Sourd

Quittant le studio retrouvé par Gonzalo Garcia, elle s’éloigne discrètement pour se glisser dans les coulisses où les solistes Ashley Bouder et Russell Janzen amorcent le Duo Concertant de George Balanchine, un morceau plus nerveux, plein de l’énergie projetée par les notes de Stravinsky. Puis s’aventure dans l’immense hall du théâtre où Maria Kowroski et Ask la Cour, fantômes sortis d’un conte de fées, entament avec une grande élégance le Liebeslieder Walzer (Balanchine) sur la musique de Brahms comme au bal d’un château réenchanté.

Nous voilà maintenant au plus haut de la salle, découvrant la scène en contrebas, où se joue, en première mondiale (gala oblige), un solo imaginé par Justin Peck sur l’Adagio du String Quartet opus 11 de Samuel Barber : par ses mouvements amples, ses sauts gracieux, Anthony Huxley se réapproprie le plateau, ouvre l’espace du théâtre, et la caméra s’accorde à son rythme, tourne lentement autour de lui comme si elle devenait sa partenaire. On est loin des captations statiques auxquelles la danse est trop souvent réduite. Pas d’effets superflus non plus, ni de coups de zooms racoleurs. Juste la douceur d’un regard. Quelque chose, alors, se passe, une osmose inédite entre deux arts, comme si la caméra s’était elle aussi mise à danser…

Enfin, fini le noir et blanc, c’est l’explosion de couleurs, la libération : les projecteurs éblouissent la scène, des ballerines surgissent et s’envolent dans Divertimento n° 15 sur les notes de Mozart, une pièce néoclassique de Balanchine, sautillante, primesautière comme les aime tant cette compagnie newyorkaise, berceau du chorégraphe. Embrassades derrière le rideau. Photo de groupe. Visages extatiques. Sous l’œil original de cette caméra qui sait voir la beauté, la danse a repris ses droits. Bientôt la salle, elle aussi, s’animera… Oui, quel beau retour à la vie !