La nouvelle de Pouchkine muée en ballet contemporain nous permet de découvrir une compagnie talentueuse.
Pouchkine mis en danse
Ils se sont figés pour la photo de famille, le père, la mère et, entre les deux, leur fille de 17 ans, forcément rétive, qui rêve de liberté… Regards dans le vide, visages fermés, annonces du drame qui les attend… L’héroïne se détache du cadre, esquisse quelques entrechats. Elle est amoureuse. Cette nuit, Maria retrouvera Vladimir, ils se marieront en secret, et tant pis si elle est noble, tant pis s’il est pauvre, ils se promettent un avenir d’aventures et de passions fiévreuses… Mais une tempête de neige s’annonce, le destin va s’en mêler… D’une nouvelle de Pouchkine qui conte en seize pages incisives l’histoire contrariée de Maria et Vladimir, en Russie, en 1812, à l’aube de l’invasion napoléonienne, le chorégraphe Andrey Kaydanovskiy a conçu une œuvre de 1h40, Le Blizzard, que présente en première mondiale le Ballet du Staatsoper de Munich*.

Crédit photo : W. Hösl
Andrey Kaydanovskiy, une patte résolument contemporaine
Ce jeune créateur russe, ancien danseur à l’Opéra de Vienne, n’est pas le premier à mettre en danse un texte de Pouchkine (on se souvient du remarquable Onéguine de John Cranko et de sa gestuelle classique très expressive). Kaydanovskiy, lui, affirme une patte résolument contemporaine : chorégraphie tantôt fluide tantôt saccadée, ponctuée par nombre de portés, tours et mouvements au sol, costumes modernes d’un goût parfois douteux (la robe de mariée en plastique !), décors joliment stylisés (la maison familiale est figurée par quatre traits lumineux), et partition de Lorenz Dangel, d’inspiration mahlérienne, qui force trop sur le pathos des cuivres et des tambours.
Premier acte : amour romanesque
Au premier acte, comme dans Roméo et Juliette, il y a le bal, les prétendants, l’amant que rejettent les parents, et les cauchemars de la belle qui se tortille sur son lit… « Maria Gavrilovna était nourrie de romans français, et par conséquent amoureuse », écrit Pouchkine. Dans le ballet, Maria (Ksenia Ryzhkova) virevolte avec grâce et secoue son petit globe de verre pour faire tomber la neige, belle idée de mise en scène pour symboliser la tempête à venir. Le jeune fiancé se perd, prend le mauvais chemin. Ensuite ? Comme Pouchkine, Kaydanovskiy fait habilement l’ellipse. Au matin, la belle a repris sa place dans le portrait de famille, folle de désespoir. Ses parents, inquiets, acceptent son choix. Trop tard. La guerre a emporté l’infortuné Vladimir…
Deuxième acte : un coup de vent peut bouleverser nos vies
Au deuxième acte, trois ans ont passé, les soldats reviennent ; Maria, esseulée, tombe amoureuse de l’un d’eux, mais, nouveau caprice du destin, il est marié… On n’en dira pas davantage pour ne pas dévoiler la pirouette inventée par Pouchkine. Contrairement à la nouvelle (qu’il vaut mieux lire avant le spectacle), l’argument du ballet manque de clarté narrative : trop long, trop dilué. Mais il nous permet quand même de découvrir une compagnie talentueuse et donne un écho original aux thèmes chers à l’écrivain : les occasions ratées, les décisions tardives, les conséquences imprévisibles de nos choix nous rappelant qu’il suffit parfois d’un rien, d’un coup de vent, d’une tempête de neige, pour bouleverser nos vies.
* Der Schneesturm, les 29 et 31 mai, 8 et 18 juin, 1er juillet au Théâtre national de Munich