La réunion inattendue d’un chanteur, d’une danseuse étoile et d’un champion olympique de boxe frappe un grand coup.
Tandis que la première s’affirme par la légèreté, la seconde vante la force. L’une prône la fluidité ; l’autre, la ténacité… En apparence, la danse classique et la boxe se tiennent à des années-lumières l’une de l’autre. Mais à y regarder de plus près, les deux ont de nombreux points communs, et même certaines affinités.
C’est en tout cas ce qu’a voulu montrer ce spectacle déroutant, intitulé « La Boxeuse amoureuse », imaginé par le chanteur Arthur H. qui a réuni sur une même scène l’étoile de l’Opéra de Paris Marie-Agnès Gillot et le boxeur Souleymane Cissokho, médaillé olympique aux redoutables coups de gants. Cet ovni chorégraphique était donné pour seulement trois représentations à la Seine musicale (92), ouverte à un public restreint soumis à la triste chorégraphie des « gestes barrières ».
Un face-à-face ou bien une danse ?

Crédit photo : Delphine Diallo
Quel étrange ballet que ce face-à-face-là ! Était-ce une danse ? Était-ce un combat ? L’athlète, en short, et la ballerine, en justaucorps, se jaugent, comme des espèces étrangères, prêts à s’entre-dévorer avant d’entrer dans le rectangle lumineux censé figurer à la fois le ring et le tapis de danse, tandis qu’Arthur H., au piano, accompagné par un violon et une scie musicale lascive, échafaude en live la bande-son et égrène ses chansons comme autant d’étapes de la rencontre.
D’abord, le prélude : la longue cérémonie des pointes avant l’entrée en scène de la ballerine (frottage, pliage des chaussons, coton glissé entre les orteils) fait écho à la préparation des gants du boxeur qui les pétrit, les adoucit et se bande soigneusement les mains. Puis viennent les exercices d’assouplissement : étirements sur pointes, pliés, exercices à la barre pour l’une ; sautillements sur place, esquives, gardes, coups de contre pour l’autre…
Des deux côtés, il faut amadouer son instrument, prévenir la douleur, préparer le corps à l’effort, et, de part et d’autre, il y a cette répétition obstinée du geste, pour qu’il soit prêt, pour qu’il soit parfait. Suit la mise en route : chacun, à sa manière, bat de premiers entrechats, et les corps sautillants se cherchent, se rapprochent, se ressemblent.
Combattre, aimer et vivre
Enfin, ils s’affrontent, s’entremêlent dans un duo hybride, cherchant l’équilibre, s’enlaçant, s’embrassant même comme un défi, alternant adages et attaques, coups et caresses. Surprise, le boxeur a la grâce d’une ballerine ; la ballerine, la force d’un boxeur. Et elle frappe dur, Marie-Agnès Gillot, qui se bat à mains nues, sans gants, sans armes, comme une affirmation symbolique du courage des femmes, comme la réconciliation des sexes dans la passion de l’étreinte.
Certes, ce n’est ni vraiment un match ni vraiment un ballet, et on reste sceptique sur les interludes de lectures de textes qui cassent un peu le rythme. Mais il y a la beauté du geste, la magnificence des corps, et la poésie suave d’Arthur H. qui emportent l’adhésion et font planer sur le spectacle une atmosphère poétique et mélancolique, affirmant le désir brûlant des êtres réunis, loin de l’épidémie, pour continuer à combattre, à s’aimer et à vivre.