Une nouvelle étoile est née lors de la diffusion de cette éclatante Bayadère suivie par pas moins de 10000 spectateurs.

De la chair et du velours comme l’aurait dit Baudelaire, et des corps qui se nouent… De tous les ballets classiques, La Bayadère est sans doute le plus sensuel : danses lascives, pas de deux langoureux, costumes chatoyants, décors fastueux, ambre, musc et encens… Ce drame romantique et oriental qui flotte comme un rêve éveillé est un blockbuster féerique qui sied parfaitement aux festivités de fin d’année.

En 1992, rongé par le Sida qui allait l’emporter, Rudolf Noureev avait mis sa dernière énergie dans la réécriture de ce ballet (conçu par Marius Petipa en 1877 à Saint-Pétersbourg) pour léguer à son public un dernier morceau de beauté. Malgré la fermeture due à la Covid, l’Opéra de Paris avait eu l’intelligence de ne pas renoncer à ce spectacle phare et de le proposer en ligne et en direct, pour une seule représentation depuis la salle vide de l’Opéra Bastille : danseurs sur scène, spectateurs derrière leur écran. Cette histoire d’amour jalouse entre une belle et un guerrier dans une Inde imaginaire vibre habituellement de volupté autant que de virtuosité, sensation qui se transmet difficilement par Internet, fusse par la fibre. Mieux que rien, se disait-on.

Crédit photo : Svetlana Loboff/Opéra national de Paris

Un festival d’étoiles

Est-ce la magie Noureev, le talent des interprètes, notre indulgence due à notre soif de danse ? Cette Bayadère virtuelle a passé hautement la barre, devant 10000 spectateurs en pantoufles mais comblés à en croire les commentaires. Pour enrichir l’affiche et nourrir ses solistes, l’Opéra proposait une distribution différente pour chaque acte, ce qui nous offrait un vrai festival d’étoiles, et trois belles Bayadères : Dorothée Gilbert, ondulante et convaincante, Myriam Ould-Braham, éthérée à souhait, et Amandine Albisson, qui allie désormais sa maturité d’artiste à sa beauté.

Magnifiques Hugo Marchand et Germain Louvet en Solor, et éblouissant Mathias Heymann, dont la musicalité et l’élégance nous coupent le souffle. Le corps de ballet, un peu rouillé par le confinement, a vaillamment maîtrisé la spectaculaire descente des Ombres, toujours un régal esthétique, et, cerise sur le gâteau, Paul Marque en Idole dorée (photo) a si bien accompli ses tours et ses sauts qu’il fut nommé étoile en fin de spectacle. Bref, le legs de Noureev brille toujours de ses feux, et la réalisatrice Isabelle Julien a su varier les angles de vue pour que l’on ait l’impression d’être toujours installé au meilleur siège du théâtre, jusqu’à saisir parfois l’émotion furtive sur le visage d’une soliste (l’épidémie a au moins cet avantage de faire progresser l’art de filmer la danse).

On en oubliait même les masques des figurants, les pantomimes désuètes qui rompent la chorégraphie, et certains passages pompiers de la partition de Ludwig Minkus. Il y avait le velours. Il manquait quand même la chair, la chaleur des danseurs, le murmure des spectateurs, cette respiration commune à la scène et la salle, bref le sel d’un spectacle qui s’efforce de rester « vivant ».