Le gala du ballet de l’opéra, bien que virtuel, fut plus que jamais au rendez-vous avec « in the night » et ses fabuleux amants.

De la danse, s’il vous plaît ! Besoin d’émotions, désir de transcendance, soif de beauté… La privation était si intense que, malgré la fermeture des salles, le Ballet de l’Opéra de Paris n’a pas renoncé à son gala annuel, présenté sur scène à Garnier mais retransmis sur Internet*. D’abord, le défilé, un peu triste, des danseurs qui, masqués, semblent émerger des ténèbres comme des rescapés. Puis, le Grand Pas classique de Victor Gsovsky, variation amidonnée mais parfaitement maîtrisée par Valentine Colasante et Hugo Marchand, et The Vertiginous Thrill of Exactitude de William Forsythe, tourbillon frissonnant de figures classiques décalées d’une précision diabolique (Symphonie n° 9 en ut majeur de Schubert).

Mais surtout, le joyau : In the Night de Jerome Robbins. Sous un ciel étoilé, trois couples (à moins que ce ne soit le même à différents moments de son histoire ?), trois Nocturnes de Chopin pour dire leur état d’âme, trois couleurs de costumes pour suggérer leurs sentiments…

Le premier (Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio), en mauve, se love dans le Nocturne op. 27 n°1: ils se regardent, s’enlacent, se touchent beaucoup, s’enroulent dans de tendres portés, se séparent parfois à l’unisson d’un forte, avant de se retrouver à nouveau amoureux, aimantés. Les notes mélancoliques de Chopin, subtilement distillées par la pianiste Ryoko Hisayama, avec ces passages en mineur lascif, racontent à la fois l’insouciance et l’angoisse de ce jeu amoureux.

Sur le Nocturne op. 55 n° 1, plus rigoureux et cadencé, le deuxième couple (Léonore Baulac et Germain Louvet), nimbé d’un ocre majestueux, montre plus de noblesse mais moins de sensualité. Davantage de confiance peut-­être ? Deux amants dans la plénitude de leur relation, mûris de leur intimité. Chopin semble plus serein, presque assagi malgré ses triolets vigoureux qui vibrent comme des pensées menaçantes vite chassées. Soudain, ils ne font qu’un, un seul corps tendu vers le ciel qui se fige un moment pour nous montrer leur connivence.

Enfin, sur le troisième Nocturne, op. 55 n° 2, Alice Renavand revêtue du rouge de la passion, incarne une figure féminine trouble et ardente face à un Stéphane Bullion envoûté. Dans leur alternance d’attirances et de déchirements qui répondent aux contrepoints de la pianiste, on devine les non ­dits, les jalousies, les portes claquées, mais aussi le désir qui brûle, les baisers retrouvés et les secrets murmurés au creux de la nuit,  jusqu’à l’apaisement: elle se plie à ses pieds dans un geste d’amour bouleversant, il la relève et l’élève comme une reconnaissance avant de l’enlacer. Que c’est beau !


Sur un quatrième Nocturne, op. 9 n° 2, sentimental en diable, les trois figures de couple se confrontent brièvement, la bouillante Alice Renavand feint d’aller trouver un autre partenaire avant de retourner au sien. Esquisse ou évocation d’une trahison ? À chacun d’y voir sa propre histoire… En vingt­ deux minutes de grâce, la danse entre en résonance avec le tréfonds de l’être, et c’est ainsi qu’elle nous réjouit.

*sur la nouvelle plate-forme de l’Opéra : https://chezsoi.operadeparis.fr

Crédit photos : Julien Benhamou/Opéra national de Paris