Akram Khan juche sur des pointes impétueuses une Giselle indocile, propulsée dans notre siècle.

Quelle rage ! Quelle énergie ! Juchée sur ses pointes furieuses, elle tourbillonne, ivre d’amour, folle de désespoir, se bat, se débat, se rue contre les murs, danse sa révolte en électrisant la scène de son outrageuse beauté. Giselle, la rebelle ! Pour oser faire de la célèbre héroïne romantique, humble et naïve paysanne, une telle figure de femme, déterminée et indocile, il fallait beaucoup d’audace et au moins autant de talent. Le chorégraphe britannique Akram Khan a les deux. Sa relecture de Giselle, présentée au Théâtre des Champs-Élysées à Paris, dans le cadre de TranscenDanses, propulse dans le XXIe siècle ce monument classique, conçu en 1841, sans en trahir la lettre ni l’esprit. Jusque-là, seul le Suédois Mats Ek avait su magnifiquement relever le défi en transposant l’intrigue originale dans l’univers psychiatrique. Akram Khan, lui, a choisi d’accentuer la double fracture : entre riches et pauvres, entre hommes et femmes. Pour seul décor, un mur géant, symbole omniprésent de la division. Au premier acte, la pauvre Giselle (Fernanda Oliveira, éblouissante), amoureuse d’un nanti qui la trahit, meurt, non plus d’abandon, mais tuée par les siens. Au second, dans un au-delà crépusculaire, elle sauve son prince prisonnier des femmes vengeresses. L’amour, toujours plus fort que la mort…

Crédit photo : Jason Bell

Crédit photo : Laurent Liotardo

Par une mise en scène très cinématographique, Akram Khan fait dialoguer les styles et les époques. La partition (Gavin Sutherland avec l’English National Philharmonic) déferle en vagues mélodiques d’où surgissent les thèmes originaux d’Adolphe Adam comme autant de troublantes réminiscences. La gestuelle, elle, est tissée sur une trame classique, parfaitement maîtrisée par les danseurs de l’English National Ballet, sur laquelle se développent de belles idées contemporaines : houle des corps entremêlés, déboulés en ombres chinoises, pas de deux langoureux…

Tout cela forme un continuum esthétique envoûtant dans lequel chaque tableau est porteur de sens. Akram Khan touche ici à l’intemporel, donc à l’actuel : sa Giselle étourdissante trouve une singulière résonance avec les combats des femmes aujourd’hui, et c’est sans doute pour cela qu’elle nous émeut autant.