Chaque jour, la rédaction de Pianiste et de Classica vous propose un compte-rendu à chaud des épreuves.
7 novembre
Éliminatoires
Les trois jours d’épreuves éliminatoires se dérouleront dans l’intimité de la Salle Cortot, où chacun des trente-deux candidats présentera un programme de trente minutes, composé principalement des œuvres imposées lors de la présélection : le premier et le dernier mouvements de la 2e sonate de Chopin, le Toccata de Debussy ou de Ravel, le Presto de Poulenc et Le Rappel des Oiseaux de Rameau ou le Tic Toc Choc de Couperin. Une œuvre au choix du candidat complète ce programme qui fait briller la musique française, comme avaient voulu les fondateurs du concours, Marguerite Long et Jacques Thibaud. Parmi les onze membres du jury, trois suivront le premier jour d’épreuves à distance, annonce Gérard Bekerman, président du Concours.
Le japonais Kyomashu Shushi donne le coup d’envoi avec une succession d’interprétations raffinées quoiqu’un brin prévisibles. Le Rappel des Oiseaux de Rameau, fulgurant et virtuose, et le Presto de Poulenc, séduisent par des sonorités perlées et l’économie de la pédale. Si les œuvres de Chopin et de Scriabine (4e sonate) révèlent les qualités de coloriste du pianiste, le candidat lutte parfois dans les passages les plus redoutables du Toccata de Ravel.

SDP
Élève de Denis Pascal et l’un des trois français en lice, Tom Carré captive par sa voix singulière, palpable dans un Rappel des Oiseaux, onirique et teinté de mélancolie, qui n’est pas sans rappeler un jeune Gilels. S’il n’a pas toujours le raffinement de son concurrent japonais, sa spontanéité apporte une franchise à son jeu, passionnant dans le Chopin et pétillant dans le Toccata de Ravel. Son rubato libre met parfois en péril le sens du discours mais le pianiste convainc notamment dans sa traversée des Danses de Marosszék de Kodály, d’une férocité saisissante.
En revanche, le jeu musculaire de la sud-coréenne Seolhwa Kim ne séduit guère, l’impressionnante ouverture de la sonate de Chopin cédant aussitôt à une interprétation peu inspirée. L’atmosphère est notamment absente dans le finale de la sonate de Chopin, tout comme dans les Variations de Brahms/Paganini, les contrastes entre griserie et espièglerie supprimés en faveur d’une traversée purement technique. Quel dommage, car la pianiste dévoile toutefois un joli toucher dans le Couperin.
Haut de ses 17 ans, le français Paul Lecocq entre en scène, tête de gamin aux cheveux bouclés et yeux ronds. Une ouverture prudente du Rameau n’empêche pas de laisser couler un lyrisme naturel. Son jeu, plein de candeur et de sincérité, prend de l’ampleur au cours de son programme, sa palette assez restreinte s’étoffant dans un Chopin qui fait preuve d’une grande assurance, jusqu’à s’épanouir dans un Messiaen remarquable, aux couleurs scintillantes.
Très grand piano par le sud-coréen Youl Sun qui s’est d’emblée distingué par la maturité et la maîtrise de ses interprétations. Sans doute le candidat le plus polyvalent de cette journée, il parvient à tisser un lien entre les œuvres de son programme, déployant une palette orchestrale dans le Chopin et trouvant une rare alchimie entre virtuosité et architecture dans le redoutable Festin d’Ésope d’Alkan.
Le toucher terrestre de Robert Bily n’emporte pas ni dans son Chopin trop mélodramatique ni dans un Couperin alourdi. Le pianiste tchèque souligne ses capacités techniques à travers des grands gestes dramatiques, ce qui fait défaut dans le Presto de Poulenc, dépourvu d’ambiguïté, et dans Pour le piano de Debussy dont le toccata fait partie des œuvres imposées.
La jeune Ékaterina Bonyushkina, déjà remarquée par Martha Argerich, dévoile un jeu gracieux et lyrique, livrant sa meilleure interprétation dans la 3e sonate de Prokofiev, d’une réflexion et d’une construction remarquables. Hélas, quelques faiblesses techniques viennent secouer le coda de la sonate ainsi que le Toccata de Ravel tandis que le Chopin manque de puissance.
Yiming Guo (Chine) fait preuve d’un grand sang-froid devant un public devenant plus agité, exécutant un Poulenc brillant et un Couperin techniquement irréprochable. Le Toccata de Debussy et la 4e sonate de Scriabine, livrés avec beaucoup de sobriété et sans grandes surprises, séduisent toutefois par la maîtrise des couleurs et des timbres. Si le pianiste oublie le 4e mouvement de la sonate, il se rattrape avec brio à la fin de son programme.
Le jeu fébrile d’Iskander Mamadaliev impressionne mais trahit aussi un manque de contrôle qui noie la ligne mélodique de la sonate de Chopin. Ses interprétations de Poulenc et de Debussy souffrent d’une conception désorganisée, tout comme son usage peu convaincant de la pédale una corda dans le Rappel des Oiseaux. Par bonheur, son interprétation de la Danse Macabre de Liszt/Horowitz est plus habitée, démontrant la volonté du pianiste ouzbek.
Pour clôturer ce premier jour d’épreuves, le serbe Djordje Radevski laisse un beau souvenir de ses interprétations très lyriques, renonçant à la puissance brute pour distiller le chant au cœur de la sonate de Chopin dont le deuxième thème subjugue. Si encore le Toccata de Ravel pose des défis techniques, le Presto de Poulenc, livré d’un ton confidentiel, surprend par sa subtilité.
Rendez-vous demain dès 11 h pour le deuxième jour d’éliminatoires, toujours à la Salle Cortot.