Souvent considéré comme une rampe de lancement pour de jeunes virtuoses, Piano Campus constitue un moment privilégié de rencontre et, à cet égard, cette vingt-et-unième édition n’a pas failli à sa réputation d’excellence. 

Face au jury présidé par Dmitri Alexeev (Prix à Moscou au Concours Tchaïkovski en 1974, à Leeds en 1975, professeur au Royal College of Music de Londres), douze candidats de dix nationalités différentes ont concouru en demi-finale dans les épreuves solistes. Trois d’entre eux ont été retenus pour la finale avec orchestre, se produisant dans le Concerto n° 4 de Beethoven et la création d’Élise Bertrand « Le Chant de Lilith » pour piano, cordes et percussions commandée par Pascal Escande, président de Piano Campus.

Une demi-finale très disputée

Le Macédonien Arda Mustafaoğlu imprime poésie et clarté de ligne à l’Étude-Tableau op. 39 n° 2 de Rachmaninov, pour laquelle il obtient la mention de la Meilleure interprétation pour l’œuvre imposée, même si le reste de son programme ne se situe pas sur les mêmes cimes. Solide et pourvue d’une sonorité dense où la carrure l’emporte sur la nuance (Paraphrase de concert sur Rigoletto de Liszt, Sonate n° 4 de Scriabine), la Suissesse Susanna Braun repart avec le prix Brigitte Engerer, artiste qui fit par son charisme les beaux jours des jurys de Piano Campus. Seul Français en lice, Samuel Bismut (24 ans), disciple de Denis Pascal au CNSMD de Paris, possède un beau toucher et un sens organique de la musique mais laisse un peu sur sa faim dans Fête-Dieu à Séville extrait d’Ibéria d’Albeniz.

Concours Piano Campus © Bruno Beucher

Concours Piano Campus
Crédit photo : Bruno Beucher

À noter que le choix des candidats pour la musique du XXe siècle s’arrête le plus souvent à Scriabine, Debussy, Prokofiev… ; seuls deux d’entre eux ont abordé des compositeurs plus proches de nous. Le démonstratif Géorgien Sandro Nebieridze s’ébroue dans les Variations pour piano op. 41 de Kapustin aux accents jazzy, et l’Allemand Leon Wenzel impressionne dans la diabolique Toccata extraite des Six Études pour piano d’Unsuk Chin. Tous deux obtiendront des mentions pour l’originalité de leurs choix.

Matyáš Novák. Photo de Lenka Hatasova

Matyáš Novák
Crédit photo : Lenka Hatasova

Un Prix Classica de haut vol

Le Tchèque Matyáš Novák (né en 1998) a toutes les qualités requises pour mener une carrière de longue durée. Formé à Prague et à Imola, il a déjà été couronné à Chypre, à Bergen en 2018 (Deuxième Prix au Concours Edvard Grieg) et récemment au Concours de piano Paloma O’Shea à Santander. Après avoir reçu des conseils d’Askhenazy, Bachkirov, Bonatta, Lonquich ou Margarius, il s’est produit dans son pays, à Carnegie Hall et en Chine. Dans le programme libre, sa superbe autorité tant dans la Ballade n° 2 de Liszt, très narrative, que dans l’Étude op. 8 n° 12 de Scriabine, d’une tension contrôlée, porte la marque d’un artiste confirmé. Le Prélude et fugue n° 2 en ut mineur extrait du Livre II du Clavier bien tempéré est magnifiquement timbré et témoigne d’une organisation mentale accomplie. La concurrence serrée et le très haut niveau des participants l’aura empêché d’accéder à la finale. En revanche, il reçoit le Prix Classica ainsi qu’un engagement pour un concert en 2023 au Musée Würth.

Un finaliste incontestable

Campus d’Or, le Russe apatride Simon Karakulidi (24 ans), actuellement installé à Francfort où il se perfectionne auprès d’Oliver Kern, remporte également cinq autres prix dont ceux du Public, de l’Orchestre, et de la Meilleure interprétation de l’œuvre contemporaine. Ce lauréat de nombreuses compétitions en Russie, en Autriche, aux États-Unis et en France (en 2022, il a obtenu un Second Prix au Concours Samson François à Cagnes-sur-Mer) privilégie la finesse racée sur les effets de manche. D’une sûreté jamais prise en défaut, stylistiquement impeccable, il se montre aussi à l’aise dans l’Étude d’exécution transcendante « Chasse-neige » de Liszt que tellurique dans les 4 Études op. 2 de Prokofiev. En finale, son jeu rompu aux difficultés semées en chemin par Élise Bertrand dans sa création avec orchestre, où l’on perçoit des influences bartokiennes, parvient à restituer au Concerto n° 4 de Beethoven toute son intériorité et sa fluidité de ton, entre ombre et lumière.

Plus académique mais disposant de grands moyens, la Russe Alexandra Shcherbakova, Médaille d’Argent, fait un sans-faute sur le plan digital. En revanche, son exécution plus littérale et quasi mozartienne du Concerto n° 4 de Beethoven n’atteint pas les mêmes hauteurs que sa prestation en demi-finale (Sonate K. 141 de Scarlatti, Soirée de Vienne de Schubert/Liszt et surtout 10 Pièces d’après Roméo et Juliette de Prokofiev).
D’une sensibilité à fleur de peau et plus fragile, l’Italien Quirino Farabella, Médaille de Bronze, laisse présager après une demi-finale prometteuse (Rhapsodie n° 12 de Liszt ou Sonate n° 5 de Scriabine) des lendemains enchanteurs. Plus embarrassé devant un orchestre, il se perd un moment dans le Rondo vivace du Concerto n° 4 de Beethoven après avoir ému dans le mouvement lent. Tout au long des épreuves finales, l’engagement du jeune Orchestre symphonique du Conservatoire à Rayonnement Régional de Cergy-Pontoise, sous la direction experte de Benoît Girault le nouveau directeur du CRR de Paris, apporte un supplément d’âme à ce Piano Campus suivi par un public toujours aussi nombreux et passionné.

Simon Karakulidi. Photo de Bruno Beucher

Simon Karakulidi
Crédit photo : Bruno Beucher

CRR de Cergy et Théâtre des Louvrais à Pontoise du 10 au 12 février 2023.

À voir aussi
➔ Pour en savoir plus sur Piano Campus, consulter le site du festival : https://www.piano-campus.com/
➔ Lire l’article que Classica a consacré à l’édition 2023 du Festival Piano Campus : https://classica.fr/festival-piano-campus-2023/