Simon Callaghan investigue sans relâche l’œuvre de Sacheverell Coke. Après les pièces pour piano et les concertos, il exhume les sonates pour violoncelle et piano. Une redécouverte essentielle.

Une révélation majeure que cet artiste maudit, romantique tardif maintenu dans l’ombre par la dictature avant­-gardiste de l’après-guerre. Enfant gâté issu d’une famille très aisée du Derbyshire, ce pianiste-compositeur connut dans les années 1930 quelques succès avant de sombrer dans un oubli total. Des troubles mentaux et une homosexualité alors réprimée par la loi complètent le tableau d’un destin tragique malgré l’aisance matérielle. Simon Callaghan est l’initiateur de cette découverte: après deux premiers CD (œuvres pour piano chez Somm, concertos chez Hyperion), il se livre cette fois à une investigation approfondie des trois sonates pour violoncelle et piano. Ces œuvres substantielles confirment l’originalité d’un créateur qui possède sa voix propre et l’utilise pour délivrer un message d’une émouvante sincérité. Le violoncelle et le piano s’imbriquent sur un plan d’égalité (la partie de piano souvent luxuriante et difficile), dans une trame contrapuntique riche, aisée et naturelle. La mélodie procède par juxtaposition de cellules répétées et réfractées au prisme du chromatisme des voix intérieures, comme chez Bax ou Rachmaninov, les deux idoles de l’auteur. La prédominance de tempos modérés ou lents est en rapport direct avec le sentiment: une rumination lyrique, secouée d’éclats de révolte vite retombés en s’échouant sur le rivage d’un océan de morosité. Curieusement, les climax, intenses, extatiques et même psychédéliques, se succèdent sans que leur animation ne dissipe le sentiment dominant de statisme ; une chape de plomb pèse irrémédiablement sur l’horizon. Coke est un maître de la dissonance, mais d’une dissonance feutrée, aux angles arrondis en une subtile et savoureuse euphonie. Cette musique complexe ne se livre pas immédiatement, même si sa sensualité accroche d’emblée.

Roger Sacheverell Coke
Sonates pour violoncelle et piano

Raphael Wallfisch (violoncelle),
Simon Callaghan (piano)

Lyrita SRCD 384. 2019. 1 h 12

La mélodie russe

La Sonate n° 1 (1936) est la seule à posséder un Scherzo, dont les pirouettes espiègles à la Prokofiev constituent l’unique moment enjoué du disque. La polyphonie linéaire du premier mouvement, avec ses tensions et son chromatisme, anticipe sur Chostakovitch. La N° 2 (1938), d’une ampleur tout autre, évoque Bax et Rachmaninov, avec un degré plus élevé de dissonance et un discours fragmenté, les envolées se volatilisant dans une mer de morosité statique; le finale enchaîne des variations sur un thème du Concerto n° 4 de Rachmaninov où s’affirme le talent de l’auteur pour la variation, la mélodie « russe » chantant sur les harmonies psychédéliques d’arpèges ondoyants du piano. La N° 3 (1941) pousse à l’extrême ce lyrisme abstrait et stylisé: lignes contrapuntiques sinueuses, mélodie sonore et volontaire dérapant sur des harmonies glissantes, fausse désinvolture des rythmes brisés et épilogue psychédélique où perce enfin une lueur d’espoir. Derrière l’improvisation apparente et les ruptures se cache une solide construction et une texture méticuleusement travaillée. Le chaleureux lyrisme de Raphael Wallfisch est en parfaite empathie avec la ferveur, l’intelligence et l’élégante technique de Simon Callaghan.