Après avoir additionné les prix, Marie-Laure Garnier enchaîne les rôles. Elle sera à l’affiche d’une nouvelle production de Porgy and Bess de Gershwin à l’Opéra national de Bordeaux. Rencontre avec une soprano à la hausse.

Marie-Laure Garnier. SDP

Vous allez endosser le rôle de l’héroïne de Porgy and Bess à l’Opéra national de Bordeaux. En 2023, est-ce important qu’une soprano d’origine ultramarine incarne Bess, aux côtés du Porgy de Joé Bertili, baryton- basse guadeloupéen ?

C’est, en effet, une très belle occasion qui nous est offerte. Je suis très heureuse de partager la scène avec Joé Bertili et Axelle Fanyo qui sont, comme moi, de jeunes chanteurs français. Voilà une belle marque de confiance qui, peut-être, donnera l’idée à d’autres maisons de monter cet opéra. Nous avons en France toutes les voix pour. Gershwin a composé cette œuvre soixante-dix ans après la fin de l’esclavage aux États-Unis, et donc en pleine ségrégation raciale. Dans Porgy and Bess, il cherche à lutter contre cette discrimination et opère un tour de force en imposant une distribution exclusivement composée de chanteurs noirs, excepté deux rôles parlés. Jusqu’à présent, le vœu du compositeur, inscrit dans son testament, est encore respecté, notamment grâce au regard de ses ayants droit, sauf en Hongrie en 2018. On peut aisément s’interroger sur la pertinence de cette règle aujourd’hui. Cet opéra serait-il plausible avec des interprètes d’une autre couleur de peau ? Pourrions-nous transposer l’histoire ? De quoi est-il vraiment question ? Quel est le réel enjeu ?

Votre travail avec les équipes de la production bordelaise n’a pas encore débuté. Cependant, quelles facettes d’une jeune femme des bas-fonds de Charleston souhaitez-vous transmettre au public ?

J’ai hâte de débuter le travail avec Emmanuelle Bastet afin de façonner ensemble le personnage de Bess ! L’un des enjeux de ce rôle réside dans sa complexité, sa dualité. Bess est tiraillée entre une vie paisible et honnête, avec des valeurs spirituelles – mais dans un quartier pauvre –, avec Porgy dont elle tombe amoureuse et une vie pleine de paillettes à New York que lui fait espérer son amant Sportin’Life. Au fond, la jeune femme sait quel serait le meilleur choix à faire pour sortir de sa condition, et pourtant… J’ai découvert la musique de Gershwin pendant mon adolescence. J’écoutais en boucle les sublimissimes Ella Fitzgerald, Nina Simone, Billie Holiday interpréter des standards de jazz tels que « I Loves You Porgy » ou encore « Summertime ». Plus tard, ayant la direction artistique du programme Les Voix du littoral en Guyane, je me suis beaucoup intéressée aux chœurs de cet opéra. Pour composer Porgy and Bess, Gershwin est allé en immersion dans le sud des États-Unis, et cela se ressent, tant sa musique est empreinte de spiritualité comme dans « Leavin’ for the Promise’ Land » ou « Oh Lawd I’m on My Way ».

Depuis vos distinctions au Concours Voix d’Outre-mer en 2019 puis aux Victoires de la musique classique en 2021, votre parcours s’accélère. Au Capitole, le public toulousain vous a applaudie dans de beaux seconds rôles, telles Junon de Platée, une servante d’Elektra, puis le chœur féminin dans Le Viol de Lucrèce de Britten. Quelles qualités et ressources développez-vous pour aborder ces profils ?

D’une façon quelque peu simpliste, je mets un point d’honneur à poursuivre un travail technique régulier, afin de garder une bonne santé vocale. Mais en réalité, s’il y a une chose importante que je développe, c’est la confiance dans mon instrument, cette voix chaude, lumineuse, ample certes, et souple à la fois. Je réalise combien mon chant progresse au fil des rôles et les possibilités qui me sont offertes à court et moyen termes.

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