Quand elle n’illumine pas les plateaux de cinéma, l’actrice française fait ainsi couler son sangue d’oro sur l’ile de Pantelleria ou s’adonne par ailleurs à une ivresse de musique dans une salle de concert.

Carole Bouquet
Photo : Christian Kettinger
Quelle fut votre première émotion musicale ?
Chaque dimanche, mon père mettait la musique à tue-tête. C’était généralement du Beethoven par Furtwängler. S’il y avait des chanteurs : Elisabeth Schwarzkopf, Teresa Stich-Randall… On l’entendait alors de l’autre bout de la rue. Lui, pourtant si discret et plutôt triste, exultait ainsi dans ces moments-là. J’adorais ça ! Ce sont d’ailleurs ses explosions de bonheur qui m’ont fait aimer la musique.
Et la plus récente ?
Le cycle des symphonies de Beethoven par Daniel Barenboim et la Staatskapelle de Berlin à la Philharmonie de Paris. C’était d’ailleurs le premier orchestre étranger à venir après le Covid. J’y suis ainsi allée trois soirs de suite, joyeuse comme une gamine. J’ai d’ailleurs vécu l’extase totale. À un moment, Barenboim s’est retourné et a dit : « C’est ça la culture. » On avait tous l’impression de vivre un moment essentiel.
Quelle place occupe la musique dans votre vie ?
Très importante et surtout en concert. Je n’écoute d’ailleurs presque plus la musique en boîte. C’est trop abstrait. J’ai besoin de chair et d’os. J’aime ainsi me déplacer pour entendre de la musique. Ça me sauve. J’ai souffert pendant le confinement, vraiment. J’aime l’idée de m’élever grâce à la présence d’un maître.
Jouez-vous ou avez-vous joué d’un instrument ? Si non, de quel instrument aimeriez-vous jouer ?
J’ai fait du piano, mais, dans les années 1960, on n’insistait pas quand les enfants voulaient arrêter et je le regrette d’ailleurs amèrement. Entrant en pension chez les Dominicaines, ça devenait trop compliqué. Quand mon fils Dimitri a voulu faire du violon, Augustin Dumay est alors venu lui donner des conseils et Étienne Vatelot m’a ainsi prêté un violon. Malheureusement, il a cassé le violon sur la tête de son professeur et je n’ai jamais osé l’avouer au grand luthier. Je continue à mentir à sa veuve.
Comment avez-vous découvert la musique classique ?
Le cinéaste et metteur en scène Werner Schroeter m’a initiée à l’opéra italien, au bel canto. Il était d’ailleurs fou de la Callas. J’étais enceinte de Dimitri et j’écoutais ainsi des duos sanglants en croyant que c’étaient des airs de joie. Quand j’ai parlé italien, j’ai alors compris mon erreur.
Quels sont vos compositeurs préférés ?
Haendel, Mozart, Rossini, Verdi… J’aimerais que la liste soit sans fin, mais je reviens toujours à ceux-là.
Quels sont les compositeurs qui ne vous attirent pas ?
Quand Barenboim a dirigé du Boulez entre deux œuvres de Beethoven, je n’étais pas la seule à attendre poliment que ça s’arrête. Ça a toujours l’air d’une punition.
Quelle est l’œuvre que vous placez au-dessus de tout ?
Don Giovanni de Mozart, malgré certains metteurs en scène. La musique n’est d’ailleurs pas le lieu des leçons de morale.
Quel(s) est (sont) votre (vos) interprète(s) de musique favori(s) ? Pourquoi ?
Ceux que je vais entendre quel que soit le programme. Surtout des pianistes . Hier, Brendel, Richter, aujourd’hui Martha. Je n’ai pas connu Callas sinon je l’aurais suivie partout. À l’étranger, la première chose que je regarde, ce sont d’ailleurs les concerts à venir. À New York, mon hôtel est entre le Met et Carnegie Hall. Si Bartoli chante, j’y cours ainsi. Comme je m’y prends au dernier moment, les places au marché noir me coûtent d’ailleurs une fortune.
Quel est votre opéra préféré ?
Celui qui me met en joie : Rigoletto. Parmi les productions, je garde ainsi un souvenir inoubliable d’Alcina avec Fleming, Graham et Dessay à l’Opéra de Paris.
Dans votre famille, qui vous a initié à la musique ?
Mon père. Il était ingénieur et violoniste à ses heures. Il m’a ainsi initié sans rien me dire. Par contagion.
Vous écrivez un livret d’opéra. Quel compositeur (mort ou vivant) pour le mettre en musique ?
Le seul avec lequel je me sens capable de collaborer, c’est Rossini. On parlerait cuisine ! Mozart, je serais incapable de lui adresser la parole. Je ne saurais ainsi que boire et manger avec lui.
Avez-vous rencontré des musiciens ? Que vous ont-ils apporté ?
J’en ai rencontré beaucoup, mais ils ne m’ont rien dit sur leur musique. J’ai ainsi des souvenirs de rires et de joie avec Cecilia. J’ai dîné avec Kissin, il avait d’ailleurs tout juste 30 ans et venait de découvrir le cinéma. Je lui ai ainsi demandé quel film il avait vu, il m’a répondu être allé au cinéma. Il voulait ainsi voir ce que c’était.
Quels sont les trois disques que vous emporteriez sur une île déserte ?
Pas d’opéra. Du Bach, du Schubert, du Mozart…
Qui pour jouer à vos funérailles ?
Pavarotti dans l’« Ingemisco » du Requiem de Verdi.
Quelle définition pour la musique ?
Je sèche.
Quelle musique pour être joyeux ?
Les airs d’opéras les plus dramatiques. Quand Donna Anna raconte alors qu’on a tué son père…
Quelle musique pour entrer au plus profond de sa tristesse ?
Aucune. Je me débrouille d’ailleurs très bien toute seule.
Quelle musique pour tout remettre en place dans sa tête et dans son cœur ?
We are the Champions par Freddie Mercury. Si possible, l’enregistrement de Wembley… J’y étais ! Ou sinon Back to Black d’Amy Winehouse.
Quelle musique pour célébrer Dieu ?
Ai-je envie de le célébrer ? Pas sûre.
Comment pourriez-vous définir l’effet de la musique sur la sensibilité humaine ?
Il faut que je réfléchisse.
Quel est l’écrivain qui vous semble le plus musical ?
Quignard, Beckett, Racine et toute la poésie du monde. Chez Racine, l’émotion vient de la rythmique, sinon ça ne marche pas. Au Conservatoire, on nous demandait de casser le rythme. C’est ainsi intellectuellement intéressant, mais artistiquement nul. Tout devient alors ennuyeux. On pourrait jouer Une saison en enfer sur scène. J’en rêve. Roberto Benigni l’a bien fait avec Dante. Yasmina Reza est très musicienne. Les acteurs qui n’ont pas d’oreille la font ainsi enrager.
Quel est le peintre dont vous entendez la musique ?
Caravage, Picasso, Giacometti, Nicolas de Staël. Les contemporains m’intéressaient moins jusqu’à une exposition à New York. Je me suis assise et me suis mise à pleurer. C’était d’une telle évidence.
Quel est le bâtiment ou monument qui pourrait selon vous correspondre à l’expression de Goethe, « musique pétrifiée » ?
Le mot « pétrifié » ne me va pas. Pour moi, l’art est en mouvement. Je me vois sautant du taxi pour monter à la place du Capitole dessinée par Michel-Ange. Tout y est harmonie. J’aperçois aussi L’Enlèvement de Proserpine de Bernini à la villa Borghese. La main sur la cuisse a l’air si vraie que ce détail symbolise à lui seul toute notre culture occidentale et méditerranéenne.
Quel est le lieu naturel qui vous semble comme une symphonie ?
Les quais de la Seine. Paris est sym-phonique, malgré les cacophonies d’Hidalgo et du Covid.
Qu’entendez-vous dans le silence ?
Malheureusement, moi. Je prends trop de place. D’où mon besoin de musique.
Quelle musique pour accompagner votre mort ?
Je ne veux surtout pas le savoir à l’avance.
Quel compositeur pour ressusciter les morts ?
Il faudrait d’abord trier qui on ressuscite. Pas besoin de faire revenir Hitler.
Quelle œuvre pour célébrer la vie ?
Quelque chose d’enthousiasmant, quand même, non ? L’ouverture des Noces de Figaro.
Avec qui partager vos musiques préférées ?
Avec toi.
À voir : Bérénice de Racine, avec Carole Bouquet, mise en scène de Muriel Mayette-Holtz, en février 2022 au Théâtre national de Nice.