Sans jamais négliger le sens du discours, Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel livrent des Sonates sensuelles et vibrantes.

Johannes Brahms (1833-1897)
Sonates pour violoncelle et piano nos 1 et 2.
Six Liebeslieder. Danses hongroises nos 1 et 5
Emmanuelle Bertrand (violoncelle),
Pascal Amoyel (piano)
Harmonia Mundi HMM 902329. 2021. 1 h 14
Quand j’ai commencé à apprendre le violoncelle, je suis tombé amoureux de cet instrument parce qu’il me semblait telle une voix : ma voix », disait Rostropovitch. Voilà une citation qu’Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel pourraient s’approprier, eux qui abordent les deux Sonates de Brahms avec une admirable vocalité ! Après avoir gravé la musique de Liszt, Bloch, Greif ou encore Chostakovitch (Harmonia Mundi, CHOC, Classica no 151), et alors qu’il a récemment soufflé ses vingt bougies, le duo vient, avec ce nouvel enregistrement, couronner une belle complicité.
Unité du geste
Dès les premières mesures de la Sonate no 1, la communion des idées et l’unité du geste s’imposent en effet. On se prend alors à imaginer les respirations, les échanges de regards, les doigts qui enfoncent les touches et la vibration du bois. Il faut dire que la sensualité du jeu subjugue, tant les couleurs irriguent les phrases, tant les textures sculptent les lignes, tant certaines ombres fugaces viennent troubler l’émotion (Allegro non troppo). L’archet ondule, le clavier illumine (Allegro vivace) et la libre circulation des énergies apporte beaucoup de naturel à l’ensemble, ce qui, malgré un caractère non troppo, permet de maintenir le souffle (Allegro). Mais, loin de se laisser emporter par la fluidité ou le beau son, les musiciens se concentrent sur le sens du discours, chantant, prononçant, racontant, et parfois même dansant (Allegretto quasi Menuetto) !
Le caractère charnel de cette interprétation l’oppose à celle de Geoffroy Couteau et Raphaël Perraud, pure, droite et feutrée (La Dolce Volta, 2017, CHOC, Classica no 228) ou à celle, poétique et noblement passionnée, de Marie–Elisabeth Hecker et Martin Helmchen (Alpha, 2014, CHOC, Classica no 184). Quelle belle idée, enfin, d’avoir complété ce programme avec six lieder (dont le célèbre Wiegenlied op. 9 no 4) et les Danses hongroises nos 1 et 5, arrangés pour violoncelle et piano ! D’une tendresse irrépressible, à fleur de peau, Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel y chantent et virevoltent sur le ton de la confidence, distillant toujours cette infime dose de noirceur (Liebestreu op. 3 no 1) ou d’humour (Danses hongroises) nécessaire à la profondeur du discours.