Marina Rebeka triomphe de tendresse dans cette version intégrale du Pirate. Avec Fabrizio Maria Carminati au gouvernail, tous à l’abordage !

Comme Edita Gruberova qui avait fondé le label Nightingale, la soprano lettone Marina Rebeka a créé Prima Classic, suivant ainsi bien d’autres artistes et révélant une évolution intéressante de l’industrie du disque. Le coffret, par son design, fait immanquablement penser aux éditions d’Opera rara, et renferme un livret en bichromie imprimé sur papier glacé de qualité. La réalisation se montre à la hauteur d’une telle présentation et constitue un jalon de l’histoire discographique du Pirata qui compte essentiellement Callas et, à la baguette, Rescigno (Warner, 1959), Caballé et Gavazzeni (Warner, 1971), Aliberti et Viotti (Berlin Classics, 1994). Cette version comporte en effet le finaletto, la dernière scène de l’œuvre, celle du suicide de Gualtiero qui se jette du pont pour fuir le « jour détesté », reprenant les dernières paroles d’Imogene « Oh sole ! ti vena di tenebre oscure ».

Coupée dès la version de Naples, cette scène a vite passé pour ne pas avoir été mise en musique. Elle avait pourtant été donnée à la création, à la Scala en 1827. On peut comprendre que, juste après la fameuse scène de la folie d’Imogene cet appendice puisse paraître superflu… mais là se trouve le défi pour le metteur en scène.

Révolution musicale

Bellini amorce, dès le Pirata, une révolution musicale qui succède à celle de Rossini. L’œuvre est charnière : le chant orné et héroïque de Rossini se retrouve dans la première partie de l’acte 2. Mais l’acte 1 et la seconde partie de l’acte 2 présentent déjà ce style « philosophique » qui sera la signature du compositeur sicilien : un chant syllabique, fait de longues mélodies et l’expression d’une nostalgie poignante. Il faut donc des interprètes à l’aise dans les deux registres. Alors que Flórez n’a enregistré que la sortita de Gualtiero, Camarena s’affirme comme le successeur de Rubini, avec un « Nel furor delle tempeste » d’une tristesse déchirante.

Vassallo, qui fit ses premières armes chez Rossini avant d’aborder Verdi, est un Ernesto idéal. Rebeka s’est fait connaître pour sa voix imposante et sa technique impeccable. On pouvait craindre qu’elle ne sache se montrer assez vulnérable pour le rôle d’Imogene. Que l’on écoute sa cabalette « Sventurata anch’io deliro », ou bien sa confession envers son mari, « Io l’amo, è vero », pour découvrir toute la tendresse qu’elle sait exprimer. Avec cette distribution, accompagnée avec talent par Carminati à la tête du Chœur et de l’Orchestre du théâtre Massimo Bellini de Catane, nul doute que le quintette « Parlarti ancor per poco » surpasse, et de loin, toutes les versions antérieures enregistrées. Carminati donne le tempo juste pour cet étonnant Largo agitato, les chanteurs allègent leurs voix, rendant la polyphonie plus claire. À quand une Norma avec les mêmes interprètes ?