Directeur musical de l’Orchestre national de Lyon depuis septembre 2020, le chef et violoniste israélo-danois Nikolaj Szeps-Znaider, qui vient de voir son contrat renouvelé pour une durée de trois ans à partir de la saison 2024-2025, envisage l’avenir dans un large horizon.

Nikolaj Szeps-Znaider
Crédit photo : Julien Mignot/Orchestre national de Lyon
Les deux dernières années ont malmené les rapports entre les artistes et le public. Comment rétablir le contact ?
Nous sommes en terrain inconnu. On ne sait plus vraiment ce qu’attend le public, ce qui, d’une certaine façon, laisse la possibilité d’explorer des voies nouvelles. Je crois qu’il ne faut pas hésiter à reconsidérer la forme du concert et à penser à ceux qui n’ont jamais poussé la porte d’une salle. Il ne s’agit pas de condamner le concert traditionnel ni de baisser nos ambitions mais de savoir également proposer d’autres modalités, plus courtes. Il faut aussi s’adresser aux très jeunes. Pas seulement en les invitant à assister aux répétitions mais aussi à participer en jouant des choses très simples, ici une note à la clarinette, là à la percussion. Cela permet d’avoir une relation directe et concrète avec la musique. Cela ne signifie pas qu’ils deviendront musiciens mais au moins ils auront une idée de ce qu’est la musique symphonique.
Comment organisez-vous les programmes ?
Il faut que, d’un point de vue intellectuel, les œuvres se répondent ou s’éclairent. Mais il faut aussi capter l’attention du public ce qui, on le sait, est devenu plus difficile de nos jours. Le soir du concert doit rester une expérience forte et non une sortie comme une autre que l’on pourrait facilement remplacer par un cinéma. Nous devons donner envie de revenir, éviter à tout prix la routine.
Privilégiez-vous un répertoire ?
Il faut bien sûr disposer d’un large répertoire et ne pas se limiter au seul domaine français. Ce que nous avons fait dans Beethoven et Mahler m’incite à poursuivre dans cette direction. Notre activité doit être comme la musique de Mahler, c’est-à-dire nourrie de nombreuses influences. Je suis convaincu du très fort potentiel de l’orchestre, ce qu’ont confirmé nos concerts centrés sur l’Europe centrale, sur les symphonies de Schumann, Smetana et Dvorák. J’aimerais diriger davantage les symphonies de Haydn et de Mozart qui échappent de plus en plus aux orchestres symphoniques au profit d’ensembles spécialisés, ce qui est vraiment dommageable. Se pencher sur ces partitions avares d’indications sollicite le goût et l’imagination, ce qui est excellent pour la cohésion de l’ensemble.
Jouer Haydn et Mozart est plus risqué que, disons, Dvorák, non ?
Oui, incontestablement. Dvorák, voire Schumann, expose moins les musiciens. On raconte que Mozart avait envoyé à son éditeur la partition d’un divertimento où n’apparaissait aucune indication dynamique dans le mouvement lent. À cet éditeur qui lui faisait remarquer, Mozart aurait répondu : « Ne vous inquiétez pas, les bons musiciens sauront quoi faire. » C’était ainsi qu’on concevait l’interprétation. Aux interprètes incombe alors un travail de création. C’est cette intelligence collective que j’essaie de développer.
Comment penser la place de l’orchestre dans la société aujourd’hui ?
Il y a cent ans, un orchestre se devait d’être excellent et de donner des concerts. C’est tout. Aujourd’hui, ça ne suffit plus. Il faut éveiller, faire découvrir et donner l’habitude d’écouter cette musique. De même, lire les Sonnets de Shakespeare sans préparation aboutirait à une impasse car ils ne sont pas faciles d’accès. Il faut donner des clefs. Cela fait désormais partie des missions des orchestres puisque l’école s’en désintéresse, préférant privilégier ce qui est directement « utile ».
Comment s’intègre la musique contemporaine dans la programmation ?
Notamment par la présence d’un compositeur en résidence. Ce fut en l’occurrence une compositrice, Olga Neuwirth, la saison passée. L’orchestre a joué certaines œuvres comme … miramondo multiplo…, son concerto pour trompette avec Håkan Hardenberger, et a donné, en création mondiale, Dreydl, une commande partagée avec la Staatskapelle de Dresde. À la différence de certains compositeurs qui n’ont rien à dire lors des répétitions, Olga Neuwirth a donné des indications très précieuses car tout était très clair dans sa tête : l’équilibre entre une guitare électrique et les altos, le jeu du saxophone… Les réactions du public étaient très positives. La présence de la musique d’aujourd’hui est indispensable. Ne serait-ce que pour rappeler que nous ne sommes pas un musée mais en contact avec des compositeurs vivants.
Quels sont vos projets discographiques ?
Nous venons d’enregistrer une série de poèmes symphoniques français pour un double CD qui paraîtra sous le label du Palazzetto Bru Zane. Elle réunit des pages de Mel Bonis, Lili Boulanger, Augusta Holmès, Charlotte Sohy, Bruneau, Chausson, Duparc, Franck, Guiraud, Joncières, Saint-Saëns…
Propos recueillis par Philippe Venturini
➔ Aller sur le site de l’Auditorium de Lyon : www.auditorium-lyon.com